Tell Aswad

De Archéologie au Proche-Orient
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Mission de fouille franco-syrienne de Tell Aswad (Mission archéologique permanente « El Kowm-Mureybet ») Co-direction D. Stordeur (France) et B. Jamous (Syrie)

Localisation

Le site préhistorique de Tell Aswad se trouve à l’extrémité orientale du village de Jdeidet el Khâss, à 30km à l’ESE de Damas.

Coordonnées Est. Nord.

Historique de la mission : La mission permanente El Kowm-Mureybet

Cette mission permanente "El Kowm-Mureybet" a été créée en 1978 par Jacques Cauvin, auquel a succédé, en 1993 Danielle Stordeur. Frédéric Abbès en prendra la direction en 2010. Le but de sa création était de prolonger les recherches effectuées entre 1971 et 1974 à Tell Mureybet (mission de sauvetage sur la vallée du moyen Euphrate), site occupé du XIIe au VIIIe millénaire avant J.-C. et devenu un site de référence pour la néolithisation du Proche-Orient. Cette nouvelle mission s'est concentrée d’abord sur la néolithisation de la région semi-désertique de la steppe de Palmyre. Plusieurs dizaines de sites allant du Paléolithique aux Âges des métaux ont été alors identifiés et trois sites fouillés : El Kowm 2, Qdeir 1 et Nadaouiyeh (VIIe millénaire avant J.-C.). A partir de 1989, la construction sur l'Euphrate du barrage de Teshrin a amené les autorités syriennes à promouvoir un programme archéologique de sauvetage. La mission s'est vu alors confier le site de Dja'de el Mughara (IXe millénaire avant J.-C.) dont la fouille, dirigée par Éric Coqueugniot est une mission autonome depuis 2007. La fouille du site de Cheikh Hassan, sur le lac Assad, a été menée en 1993 (dir. D. Stordeur). En 1995, la DGAM de Syrie accordait à la mission un permis de fouille franco-syrienne (dir. D. Stordeur et B. Jamous) pour Jerf el Ahmar, découvert quelques années auparavant par une équipe américaine (T. Mac Clellan et M. Mottram). A la fin des fouilles sur ce site en 1999, un nouveau programme franco-syrien a été confié aux mêmes co-directeurs, cette fois dans la région de Damas à Tell Aswad. Les fouilles dans ce site se sont arrêtées en 2007. Enfin, après des travaux de prospection et de sondages, F. Abbès a pris la direction d’une vaste opération de fouilles franco-syriennes (co-direction T. Yartah) dans la région du Bal’as à partir de 2002. Cette opération se développe actuellement sur un programme de plusieurs années et concerne au moins quatre sites.

Organisation scientifique. Principaux partenaires scientifiques

Organisation scientifique

  • Industrie lithique : F. Abbès, Ingénieur de recherche CNRS, Archéorient
  • Archéobotanique : G. Willcox, Chercheur, C.N.R.S., Archéorient (avec L. Herveux et H. Pessin post-doc)
  • Archéozoologie : D. Helmer, Chercheur, C.N.R.S. Archéorient (avec L. Gourichon et E. Blaise, post-doc)
  • Anthropologie : R. Khawam, Doctorante, Université Lyon 2
  • Géoarchéologie : J.E. Brochier, Chercheur CNRS, ESEP, Université Aix en Provence
  • Matériaux importés et Parure : H. Alarashi Doctorante, Université Lyon 2, S. Delerue, post-doc

Soutien financier

Ministère des Affaires étrangères France : principal soutien financier. Autres partenaires : Direction générale des Antiquités et des musées de Syrie (DGAM) (cofinancement annuel). CNRS. Université Lumière Lyon 2 (bourses étudiants).

Laboratoires partenaires

Centre de datation par le radiocarbone, université Claude Bernard - Lyon I. ESEP, Université Aix en Provence.

Résultats et perspectives

Résumé

Le site préhistorique de Tell Aswad est une butte peu élevée de 250/250m. Il avait été découvert par H. de Contenson en 1967 (sondages en 1971 et 1972). A la suite de ces travaux, avait été créée une nouvelle culture, « l’Aswadien », représentative de l’Horizon PPNA (9500 à 8700 avant JC en dates calibrées) pour le Levant central. Or, depuis cette création, Tell Aswad était resté le seul site représentant cette culture dans la région, ce qui posait un problème à la communauté scientifique. S’y ajoutait le fait que l’examen technique des séries lithiques par F. Abbès avait révélé des incohérences. Il fut donc décidé de reprendre la fouille de ce site-clé pour tester la validité de l’Aswadien. Six campagnes de fouille ont été menées, de 2001 à 2006 sur ce site. La problématique qui a guidé la reprise des fouilles ne se limitait pas au seul problème de l’existence de l’Aswadien mais s’intégrait au questionnement global sur le Néolithique du Levant et sa gestation : la Néolithisation. Il s'agissait surtout de savoir quel rôle avait joué ce site dans la démarche des premiers villages d'agriculteurs éleveurs. Sa position intermédiaire entre deux zones bien connues pour cette étape de la préhistoire, et dans une zone presque vide d'informations, était déterminante. L’occupation su ce site étant longue, des questions ont été posées pour chaque période, toutes peu documentées dans cette région. Le site ayant été d’abord occupé sur l’Horizon PPNB ancien (8700-8200 avant JC), on se demandait si une culture locale ne s’était pas alors élaborée sur place ou si elle marquait l’arrivée de migrants originaires de l’Euphrate. On attendait aussi beaucoup des niveaux PPNB moyen (8200-7500 avant JC) qui prolongeait le PPNB ancien et constitue la principale occupation de ce site. Dans le but de définir les aires culturelles du Levant, il était important de savoir si Tell Aswad, à l’époque des gros villages pleinement agricoles, avait créé sa propre culture, ou si ses traditions le rattachaient à d’autres régions : Levant Nord ou Levant sud. Telles étaient les principales questions qui on guidé la reprise des travaux par une nouvelle équipe.

Séquence néolithique du Levant

C’est grâce à l’établissement d’une stratigraphie fine et précise que l’on a pu réactualiser l’attribution chronologique des différentes phases culturelles qui se succèdent dans le site. Il est rapidement apparu que l’existence de l’Aswadien, culture PPNA créée dans les années 1970, ne pouvait pas être validée. Cette importante correction de la séquence du Néolithique est aujourd’hui admise de tous. Par ailleurs les résultats ont été nombreux, notamment dans le domaine architectural et funéraire.

L'architecture

Une invention locale de la brique a été faite par les habitants de Tell Aswad. Il a été possible de reconstituer un processus en trois étapes : d’abord des murs construits en alternant des couches de terre avec des lits de roseaux, puis remplacement de ces couches de terre par des mottes modelées, enfin modelage et séchage des premières briques. Du début à la fin de l’occupation, les plans des maisons sont arrondis. L’intérieur n’est presque jamais subdivisé, mais il peut être structuré par des aménagements domestiques, parfois regroupés. Toutes ces caractéristiques architecturales sont conformes à ce qui a été trouvé dans les autres sites du sud du Levant. Alors qu’au Nord, notamment dans la vallée de l’Euphrate, les maisons rectangulaires sont construites depuis un millénaire déjà.

Les maisons de Tell Aswad s’étagent sur des terrasses aménagées. Elles sont semi-enterrées dans de nombreux cas. Ce terme est pris dans deux sens. D’abord l’enfouissement n’est pas total mais concerne moins de la moitié de la hauteur sous toit. Ensuite il est destiné en général à couper une pente. Dans la zone fouillée, où la pente s’élève à l’Ouest et au Nord, l’enfouissement ne concerne que ces orientations, et les maisons semi-enterrées s’ouvrent toutes de plein pied vers le Sud et surtout l’Est, direction dans laquelle on trouve presque toutes les portes. Cette direction est idéale pour abriter les habitations du vent dominant, qui vient de l’Ouest.

Les Pratiques funéraires

Tell Aswad a livré de très nombreux restes humains (plus de 100 individus) dont les inhumations indiquent une riche variété de comportements funéraires. On observe un changement radical dans les habitudes à un moment déterminé de l'occupation. Dans les niveaux datés de l'Horizon PPNB ancien et moyen, les dépôts funéraires sont dans les maisons ou dans leur environnement immédiat. En revanche, des cimetières regroupent les morts à la marge du village à partir de la fin du PPNB moyen.

Ainsi durant douze niveaux d’occupation successifs, les habitants de Tell Aswad ont inhumé leurs morts dans le contexte intime de leurs habitations. L’étude anthropologique est en cours mais on recueille déjà un premier lot d’informations sur les habitudes. Ainsi ce sont majoritairement de jeunes enfants et surtout des nourrissons qui y sont inhumés. Il semble bien que les morts placés dans les maisons aient été inhumés pendant le temps où elles étaient utilisées ; ils ont donc fait partie du quotidien des vivants. Si la plupart sont dissimulés dans les murs, on trouve plusieurs cas où les inhumations sont très visibles, signalées par une construction émergeant au-dessus du sol.

A la fin de l’occupation du site de Tell Aswad, on constate un changement radical dans les pratiques funéraires. Les défunts ne reposent plus dans l’environnement intime de la cellule familiale, mais sont regroupés dans une aire funéraire, située en marge de la zone construite. Le futur espace sépulcral est isolé et préparé. Son emplacement est légèrement creusé dans les décombres d’anciennes constructions. Un acte fondateur marque le début de son utilisation : le dépôt de crânes surmodelés. Ils inaugurent en même temps une sépulture collective qui occupera une position privilégiée tout au long du fonctionnement de l’aire funéraire. Toutes les sépultures sont révélatrices d’un traitement très sophistiqué réservé aux défunts : nombreuses manipulations des restes, regroupements de corps, prélèvements de crânes etc… Leur étude détaillée, en cours, donnera des indications précieuses sur les traditions et les liens sociaux du groupe. Parmi ces traditions, celles du surmodelage des crânes est la plus fascinante et la plus révélatrice.

Le prélèvement de crânes à partir de corps inhumés date du Natoufien. Mais ce qui est nouveau, et connu seulement dans sept sites du Levant Sud, c’est que certains de ces crânes reçoivent un traitement particulier. Le crâne ayant été prélevé et nettoyé, un visage est modelé directement sur l’os à l’aide de terre et de chaux, puis peint. Aswad a livré neuf crânes surmodelés provenant de deux aires successives. Ils sont tous différents, tout en ayant de nombreux points communs, aussi bien sur le plan technique que stylistique.

Le mobilier

Tell Aswad a livré des outils en silex et en os, du matériel de mouture, des témoins de l'usage du tissage et de la vannerie, des récipients, des éléments de parure et des figurines en terre et en pierre.

L’étude des outils de silex permet de faire commencer l’occupation à l’Horizon PPNB ancien et de constater son épanouissement au PPNB moyen, jusqu’au PPNB récent. Parmi les outils et armes typiques du site, on trouve de grandes lames faucilles denticulées et des pointes à encoches dites "pointes d'Aswad", associées des pointes à long pédoncule et des "pointes de Jéricho" à pédoncule et ailerons.

Tell Aswad date de la période où la céramique usuelle n’est pas encore inventée. Les récipients retrouvés sont en pierre ou en terre crue. Les contenants fixes sont bien attestés dans l’architecture, sous forme de casiers. Dans l’un d’eux une récolte pure de grains carbonisés le désigne comme un silo. Par ailleurs, plusieurs empreintes de panier spiralé montrent, très clairement, le type de vannerie qui était le plus couramment utilisé par les paysans de tell Aswad. Une empreinte de tissu rebrodé a même été enregistrée par un fragment de plâtre. Du lin cultivé a été trouvé dans le même niveau.

Tell Aswad est riche en représentations humaines et animales, ainsi qu’en petits objets aux formes géométriques simples : petites sphères, cônes, disques. Presque tous ces objets sont modelés en terre argileuse, souvent mélangée à des végétaux. On les trouve souvent dans des aires où le fumier était brûlé. Il est possible que ces objets y aient été volontairement cuits. Enfin, on trouve des parures en matières diverses, le plus souvent importées, à Tell Aswad. Certaines ont été trouvées en contexte funéraire.

Exploitation du milieu végétal et animal Peu de faune a été retrouvée dans les premiers niveaux, correspondant au PPNB ancien. Le fort pourcentage de caprins, inhabituel pour cette période, suggère soit une chasse de chèvres sauvages soit un élevage de chèvres. Pour le moment, cette question importante pour une période où commence tout juste la domestication des animaux reste ouverte. Mais à partir du PPNB moyen, la présence des animaux domestiques est assurée. On trouve des porcins, ovins, caprins et bovins. Pour les deux derniers, on note l’exploitation conjointe de la viande et du lait. De plus, les bovins présentent souvent des pathologies consécutives à leur emploi pour le travail. L’image qui résulte de l’étude archéozoologique est celle d’un village d’agriculteurs et d’éleveurs en pleine possession des techniques de production alimentaires. Mais la chasse est bien représentée avec deux espèces d’équidés, deux gazelles (gazelle de montagne et gazelle de Perse), le sanglier, des carnivores, de nombreux oiseaux d’eau et quelques oiseaux des steppes. Enfin la pêche est pratiquée durant toute l’occupation du site.

La culture des céréales était pratiquée sur le site dès le début comme l’atteste la présence de blé amidonnier et d'orge, ces céréales ne pouvant pas exister à l’état sauvage dans l’environnement proche. De plus, on trouve, associé au blé, le cortège habituel des "mauvaises herbes" qui accompagne l’agriculture. Des graines de lin étaient présentes également. Des fruits, figues et pistaches, ont été apparemment très appréciés car on les trouve en quantité importantes. Enfin les roseaux étaient très largement utilisés, surtout comme armature dans l'architecture, mais également pour les nattes et vanneries et peut-être comme litière voire comme fourrage.

La forte présence de marqueurs d'eau comme les roseaux, les joncs, les tamaris, frênes et peupliers montre que le site était proche d'un milieu très humide. La présence d’ossements de poissons et d’oiseaux aquatiques comme les canards, la grue et l’oie, indique, elle aussi, que le site était implanté près d’un lac et que les habitants néolithiques d'Aswad en ont pleinement exploité les ressources.

Bibliographie choisie

  • Helmer D. ; Gourichon L. 2008. Premières données sur les modalités de subsistance dans les niveaux récents de Tell Aswad (Damascène, Syrie) – fouilles 2001-2005. In Vila E., Gourichon L., Buitenhuis H. & Choyke A. (éd.), Archaeozoology of the Southwest Asia and Adjacent Areas VIII. Actes du 8e colloque de l'ASWA (Lyon, 28 juin-1er juillet 2006). Lyon, Travaux de la Maison de l'Orient 49, volume 1, pp. 119-151.
  • Helmer D. et Gourichon L. Accepté 2007. Premières données sur les modalités de subsistances dans les niveaux récents (PPNB moyen à Néolithique à Poterie) de Tell Aswad en Damascène (Syrie), Fouilles 2001-2005, in Vila E. et Gourichon L. (eds), ASWA Lyon juin 2006
  • Stordeur D. 2003. Tell Aswad. Résultats préliminaires des campagnes 2001 et 2002. Neo Lithics 1/03, 7-15
  • Stordeur D. 2003. Des crânes surmodelés à Tell Aswad de Damascène. (PPNB - Syrie). Paléorient, CNRS Editions, 29/2, 109-116.
  • Stordeur D. ; Jammous B. ; Khawam R. ; Morero E. 2006. L'aire funéraire de Tell Aswad (PPNB). In HUOT J.-L. et STORDEUR D. (Eds) Hommage à H. de Contenson. Syria, n° spécial, 83, 39-62.
  • Stordeur D., Khawam R. 2007.Les crânes surmodelés de Tell Aswad (PPNB, Syrie). Premier regard sur l’ensemble, premières réflexions. Syria, 84, 5-32.
  • Stordeur D., Khawam R. 2008. Une place pour les morts dans les maisons de Tell Aswad (Syrie). (Horizon PPNB ancien et PPNB moyen). Workshop Houses for the living and a place for the dead, Hommage à J. Cauvin. Madrid, 5ICAANE.