Corpus des inscriptions arabes des portes et de l’enceinte de Damas

De Archéologie au Proche-Orient
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Bâb al-Saghîr, porte et minaret vus depuis la ville intra muros

Fiche descriptive

  • Localisation: Damas
  • Cadre institutionnel: DGAMS, EPHE, INHA, Ifpo
  • Responsables de la mission: Houmam Saad, Jean-Michel Mouton, Jean-Olivier Guilhot, Claudine Piaton et Bassam Dayoub
  • Résumé: La documentation de base est constituée par les inscriptions arabes de Damas rassemblées durant les 150 dernières années (Recueil Schéfer, Carnets de Max van Berchem, archives de Jean Sauvaget) auxquelles s’ajoute de nouvelles inscriptions trouvées en prospection sur le terrain. Dans le prolongement de l’approche de Jean Sauvaget, ce programme vise à croiser les textes épigraphiques, au centre du projet, avec les données archéologiques, architecturales, topographiques et historiques. Ces textes sont ainsi replacés dans leur contexte architectural et historique afin de comprendre à la fois le monument qui les porte et le cadre événementiel à l’origine de leur rédaction.
  • Datation: époques ummayade, ayyoubide, mamelouke

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Notice

Vue des maisons construites sur la muraille nord en bordure du Baradâ

Description générale

La documentation de base est constituée par les inscriptions arabes de Damas rassemblées durant les 150 dernières années (Recueil Schéfer, Carnets de Max van Berchem, Archives de Jean Sauvaget) auxquelles s’ajoutent de nouvelles inscriptions trouvées en prospection sur le terrain. Dans le prolongement de l’approche de Jean Sauvaget, ce programme vise à croiser les textes épigraphiques, au centre du projet, avec les données archéologiques, architecturales, topographiques et historiques. Ces textes sont ainsi replacés dans leur contexte architectural et historique afin de comprendre à la fois le monument qui les porte et le cadre événementiel à l’origine de leur rédaction.

La première phase du programme porte sur la constitution du corpus des inscriptions des portes et de l’enceinte de la vieille ville de Damas : 31 inscriptions ont à ce jour été relevées sur les huit portes que compte la ville et les 4,5 kilomètres de muraille qui l’entourent. Pour l’essentiel ces textes commémorent des travaux de restauration ou de reconstruction de portes, de tours ou de pans entiers de la muraille, par les plus illustres souverains damascains de la seconde partie du Moyen Âge.

Inscription commémorant la construction d'une tour ronde près de Bâb al-Jâbiyya au nom de Nûr al-Dîn (1173)

Enjeux scientifiques, problématiques, résultats principaux

Les transformations du tracé de la muraille antique ont commencé après le renversement de la dynastie omeyyade par les Abbassides en 750. Pour éviter toute rébellion à Damas, ancienne capitale califale, mais aussi en signe d’humiliation, la muraille fut alors démantelée. Les gouverneurs qui eurent par la suite à administrer la ville redressèrent les remparts, souvent avec des moyens de fortune et sans laisser d’inscriptions ; du moins aucune d’entre elles n’est parvenue jusqu’à nous. Il fallut attendre l’époque des Croisades pour que Damas retrouve son rang de capitale. D’abord, au centre d’une petite principauté sous les Seljoukides et les Bourides (1076-1154), elle devint bientôt, à partir des règnes de Nour ed-Dîn et du célèbre Saladin, la capitale d’un empire plus vaste englobant une bonne partie du Proche-Orient.

Bâb al-Faraj sud : détails des consoles alvéolées surmontant les mâchicoulis

La plus ancienne inscription conservée, datée de 1144, commémore l’ouverture d’une nouvelle porte, Bâb al-Nasr, au sud de la citadelle. Mais c’est à partir du règne de Nour ed-Dîn (1154-1174) puis sous les successeurs de Saladin (Salah ed-Din), les princes ayyoubides (1193-1260), que les travaux les plus importants furent entrepris, s’accompagnant à chaque fois d’inscriptions commémoratives où le nom des souverains de Damas apparaissait doté d’une titulature toujours plus abondante. Durant les derniers siècles du Moyen Âge, sous le sultanat mamelouk (1260-1517), alors que le danger croisé s’était définitivement éloigné, les princes de Damas se contentèrent d’entretenir les murailles et les portes, mais couvrirent celles-ci de décrets gravés dans la pierre visant à faire connaître à la population qui pénétrait dans la ville les dernières mesures, généralement d’ordre fiscal, qui avaient été prises par le sultan.

L’intérêt premier de ces textes, bien souvent conservés encore in situ, est de fournir une chronologie aux aménagements et extensions multiples de l’enceinte. Au fil des siècles, en effet, le tracé, semble-t-il, rectangulaire de la muraille antique a évolué vers une forme ovoïde permettant d’intégrer de nouveaux quartiers dans l’espace urbain tout en adaptant, au nord notamment, le tracé de l’enceinte aux fluctuations du cours du Barada qui protégeait la ville sur ce flanc. Plus fondamental encore, ces inscriptions permettent de saisir les évolutions du système défensif, qui a connu de profondes transformations entre 1150 et 1250, pour faire face aux attaques conduites par les Croisés qui avaient d’ailleurs assiégé la ville et avaient bien failli la prendre en 1148. Les portes antiques, souvent de simples arches ouvertes dans l’enceinte, constituaient le point faible de la défense urbaine et furent ainsi pour certaines bouchées (Bâb Kaysân) ou pour d’autres dotées de barbacanes (Bâb Jâbiyya, Bâb Saghîr ou Bâb Sharqî). Les nouvelles portes ouvertes sur le front nord (Bâb as-Salâma, Bâb al-Faraj extérieure), où le tracé de la muraille avait été modifié, furent construites en intégrant les innovations techniques de l’époque (mâchicoulis, casse-tête...etc.). De plus, dès le milieu du XIIe siècle, on commença la construction à l’ouest de la ville d’un avant-mur ou braie, à une vingtaine de mètres en avant de la muraille, qui encercla l’ensemble de la ville dès le début du XIIIe siècle avant d’être transformé sous les Mamelouks en une seconde muraille.

Bâb al-Faraj nord, voûtement en arête du massif arrière de la porte

Les portes et les murailles de Damas sont ainsi un conservatoire des techniques défensives de l’époque médiévale dans l’Orient musulman. La richesse des témoignages épigraphiques permet de dresser une typologie des formes des différentes composantes du système défensif (archères, consoles, mâchicoulis, etc.) et de les dater très précisément, afin de faire progresser de façon notable les questions controversées des influences réciproques entre Croisés et Musulmans et de la diffusion des techniques militaires du centre, à savoir la capitale Damas, vers les forteresses périphériques.

Au-delà des aspects strictement militaires, le corpus des inscriptions de Damas, et notamment celui des portes, fournit des éléments tout à fait originaux sur le système de propagande des princes musulmans. Le franchissement des portes de la ville, passage obligé pour tout visiteur, était l’endroit idéal pour glorifier le souverain de la cité et pour valoriser son action. Aussi les inscriptions couvrant les linteaux de ces portes sont-elles avant tout le lieu où peut se développer, à l’aide d’une calligraphie soignée, l’ensemble des titres et des vertus du prince bâtisseur qui le plus souvent est « juste » (al-‘âdil) et « savant» (al-‘âlim), mais avant tout un défenseur de l’islam, un « combattant du djihad » (moujâhid), voire même un exterminateur des infidèles. Ces signes de pouvoir n’ont cessé de se développer dans les derniers siècles du Moyen Âge s’accompagnant à partir de l’époque mamelouke du blason des sultans comme la fleur de lys de Barqouq sur la porte extérieure de Bâb al-Faraj, symbole rapidement compréhensible pour les passants.

Les inscriptions, chargées de commémorer l’œuvre de souverains bâtisseurs et d’en transmettre le souvenir aux générations futures, sont l’expression première de la mémoire de Damas. Le linteau martelé de Bâb as-Salâma où le nom du prince ayyoubide, al-Malik al-Sâlih Ismâ‘îl, a été remplacé par celui de son successeur Najm ed-Dîn Ayyoub ou encore l’inscription émouvante de Bâb al-Jâbiya évoquant la dernière apparition publique du célèbre Saladin venu accueillir en ce lieu les pèlerins de retour de la Mecque en février 1193, un mois avant sa mort, rappellent les événements majeurs de l’histoire urbaine et transforment ces formes architecturales en de véritables lieux de mémoire.


Bâb al-Farâdis, détail des clous de blindage d'un vantail de la porte en bois

Historique de la mission

« Damas est la ville la plus riche en inscriptions arabes. Elle passe avant Le Caire, peut-être pour le nombre, à coup sûr pour l’intérêt de ses textes ». Ainsi s’exprimait en 1893, Max Van Berchem, « le père de l’épigraphie arabe » au moment où il lançait l’idée de constituer un vaste corpus de l’ensemble des inscriptions arabes. Depuis le milieu du XIXe siècle, voyageurs et savants n’ont cessé de relever et de publier les textes conservés dans la pierre des monuments de Damas dont le nombre est sans doute proche du millier. Pourtant jamais le souhait formulé par le savant suisse à la fin du XIXe siècle de rassembler ces textes épars dans un vaste corpus n’a été réalisé. Aucune des entreprises pour atteindre cet objectif, à commencer par celle de Max van Berchem lui-même, bientôt suivie par celles des plus célèbres épigraphistes allemands et français de la première moitié du XXe siècle comme Moritz Sobernheim, Jean Sauvaget ou Dominique et Janine Sourdel, n’a pu aboutir.