Tell Aswad : Différence entre versions

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(« Mission archéologique El Kowm-Mureybet". Fouille franco-syrienne de Jerf el Ahmar.)
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== « Mission archéologique El Kowm-Mureybet". Fouille franco-syrienne de Jerf el Ahmar. ==
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== Mission archéologique El Kowm-Mureybe. Fouille franco-syrienne de Tell Aswad.
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Co-direction D. Stordeur (France) et B. Jamous (Syrie) ==
  
== Localisation ==
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==Localisation==
  
Jerf el Ahmar est implanté sur la rive gauche du Moyen-Euphrate syrien, à 2 km en amont du barrage de Tichrine. Le site est actuellement englouti sous 15 m d’eau.
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Le site préhistorique de Tell Aswad se trouve à l’extrémité orientale du village de Jdeidet el Khâss, à 30km à l’ESE de Damas.
  
Coordonnées 38°43 Est. 36° 20 Nord.
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Coordonnées Est. Nord.
  
== Historique de la mission : La mission permanente El Kowm-Mureybet ==
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==Historique de la mission : La mission permanente El Kowm-Mureybet==
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Cette mission a été créée en 1978 par Jacques Cauvin auquel a succédé, en 1993, Danielle Stordeur. Frédéric Abbès en prendra la direction en 2010. Le but de sa création était de prolonger les recherches effectuées à Mureybet (moyen Euphrate) entre 1971 et 1974. Ce site, occupé du XIIe au VIIIe millénaire avant J.-C., était devenu un site de référence pour la néolithisation du Proche-Orient. La nouvelle mission se concentra d’abord sur la néolithisation d’une région semi-désertique, celle de la steppe de Palmyre. Plusieurs dizaines de sites allant du Paléolithique aux âges des métaux furent identifiés et trois sites fouillés : El Kowm 2, Qdeir 1 et Nadaouiyeh (VIIe millénaire avant J.-C.). A partir de 1989, la construction sur l'Euphrate du barrage de Tichrine amena les autorités syriennes à promouvoir un programme archéologique de sauvetage. La mission se vit confier le site de Dja'de el Mughara (IXe millénaire avant J.-C.) dont la fouille, dirigée par Éric Coqueugniot est une mission autonome depuis 2007. La fouille du site de Cheikh Hassan, sur le lac Assad, fut menée en 1993 (dir. D. Stordeur). En 1995, la DGAM de Syrie accordait à la mission un permis de fouille franco-syrienne (dir. D. Stordeur et B. Jamous) pour Jerf el Ahmar, découvert quelques années auparavant par une équipe américaine (T. Mac Clellan et M. Mottram). A la fin des fouilles sur ce site en 1999, un nouveau programme franco syrien fut confié aux mêmes co-directeurs, cette fois dans la région de Damas à Tell Aswad. Les fouilles dans ce site s’arrêtèrent en 2007. Enfin, après des travaux de prospection et de sondages, F. Abbès prit la direction d’une vaste opération de fouilles franco-syriennes (co-direction T. Yartah) dans la région du Bal’as à partir de 2002. Cette opération se développe actuellement sur un programme de plusieurs années et concerne au moins quatre sites.
  
Cette mission a été créée en 1978 par Jacques Cauvin  auquel a succédé, en 1993, Danielle Stordeur. Frédéric Abbès en prendra la direction en 2010. Le but de sa création était de prolonger les recherches effectuées à Mureybet (moyen Euphrate) entre 1971 et 1974. Ce site, occupé du XIIe au VIIIe millénaire avant J.-C., était devenu un site de référence pour la néolithisation du Proche-Orient. La nouvelle mission se concentra d’abord sur la néolithisation d’une région semi-désertique, celle de la steppe de Palmyre. Plusieurs dizaines de sites allant du Paléolithique aux âges des métaux furent identifiés et trois sites fouillés : El Kowm 2, Qdeir 1 et Nadaouiyeh (VIIe millénaire avant J.-C.). A partir de 1989, la construction sur l'Euphrate du barrage de Tichrine amena les autorités syriennes à promouvoir un programme archéologique de sauvetage. La mission se vit confier le site de Dja'de el Mughara (IXe millénaire avant J.-C.) dont la fouille, dirigée par Éric Coqueugniot est une mission autonome depuis 2007. La fouille du site de Cheikh Hassan, sur le lac Assad, fut menée en 1993 (dir. D. Stordeur). En 1995, la DGAM de Syrie accordait à la mission un permis de fouille franco-syrienne (dir. D. Stordeur et B. Jamous) pour Jerf el Ahmar, découvert quelques années auparavant par une équipe américaine (T. Mac Clellan et M. Mottram). A la fin des fouilles sur ce site en 1999, un nouveau programme franco syrien fut confié aux mêmes co-directeurs, cette fois dans la région de Damas à Tell Aswad. Les fouilles dans ce site s’arrêtèrent en 2007. Enfin, après des travaux de prospection et de sondages, F. Abbès prit la direction d’une vaste opération de fouilles franco-syriennes (co-direction T. Yartah) dans la région du Bal’as à partir de 2002. Cette opération se développe actuellement sur un programme de plusieurs années et concerne au moins quatre sites.
 
  
 
== Organisation scientifique. Principaux partenaires scientifiques ==
 
== Organisation scientifique. Principaux partenaires scientifiques ==
  
Archéobotanique : George Willcox, C.N.R.S. (avec Valérie Roitel et Sandra Fornite).
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=== Organisation scientifique ===
 
 
Archéozoologie : Daniel Helmer, C.N.R.S. et Lionel Gourichon.
 
  
Industrie lithique : Frédéric Abbès, CNRS. Anthropologie : Josef Anfruns, université de Barcelone. Matériel de mouture : Hara Procopiou MA Université Paris I (avec Maria Bofil).  
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* Industrie lithique : F. Abbès, Ingénieur de recherche CNRS, Archéorient
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* Archéobotanique : G. Willcox, Chercheur, C.N.R.S., Archéorient (avec L. Herveux et H. Pessin post-doc)
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* Archéozoologie : D. Helmer, Chercheur, C.N.R.S. Archéorient (avec L. Gourichon et E. Blaise, post-doc)
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* Anthropologie : R. Khawam, Doctorante, Université Lyon 2
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* Géoarchéologie : J.E. Brochier, Chercheur CNRS, ESEP, Université Aix en Provence
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* Matériaux importés et Parure : H. Alarashi Doctorante, Université Lyon 2, S. Delerue, post-doc
  
 
=== Soutien  financier ===
 
=== Soutien  financier ===
  
 
Ministère des Affaires étrangères France : principal soutien financier.
 
Ministère des Affaires étrangères France : principal soutien financier.
 
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Autres partenaires : Direction générale des Antiquités et des musées de Syrie (DGAM) (cofinancement annuel). CNRS. Université Lumière Lyon 2 (bourses étudiants).
Autres partenaires :  
 
* Direction générale des Antiquités et des musées de Syrie (DGAM) (cofinancement annuel)
 
* CNRS
 
* Communauté européenne (participation en 1997)
 
* Université Lumière Lyon 2 (bourses étudiants)
 
* Mécénat Fondation Aïdi pour sauvegarde (1999)
 
  
 
=== Laboratoires partenaires ===
 
=== Laboratoires partenaires ===
  
* Institut national agronomique (INA-PG), Paris, "Science des sols et hydrologie", "unité de micro morphologie"
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Centre de datation par le radiocarbone, université Claude Bernard - Lyon I. ESEP, Université Aix en Provence.  
* Université de Barcelone, laboratoire d'anthropologie physique
 
* Centre de datation par le radiocarbone, université Claude Bernard - Lyon I (J. Evin)
 
* Institut für Anorganische und Analytische Chemie, Berlin
 
* Centre E. Babelon Orléans, GDR 1033-CNRS
 
* Institut de Géologie, Strasbourg (analyses d'obsidienne)
 
* Programme ARASSH (Région Rhône-Alpes/CNRS) "Qualités mécaniques des roches en tant que critères de choix des communautés préhistoriques" : Centre d’archéométrie, université Claude Bernard - Lyon I, CPE de Lyon, Villeurbanne, École centrale, Ecully.
 
 
 
  
 
== Résultats et perspectives ==
 
== Résultats et perspectives ==
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=== Résumé ===
 
=== Résumé ===
  
Jerf el Ahmar est un site préhistorique implanté sur la rive gauche du Moyen-Euphrate syrien. Son occupation va de la fin du Xe au début du IXe millénaires avant J.-C. (dates calibrées) et correspond à l'époque des tout débuts de l'agriculture. Si les cinq cents ans de vie du site appartiennent à la culture mureybétienne (horizon PPNA), la dernière occupation montre les signes d'une transition vers le PPNB. Une fouille étendue à 1000 m² a permis de dégager plus de 70 constructions réparties sur 12 niveaux. On peut y suivre l'évolution des architectures depuis la maison ronde des origines jusqu'à l'adoption du plan rectangulaire. On a pu établir que les habitants planifiaient collectivement l'édification de leur village et de bâtiments communautaires. Un autre apport original de ce site concerne la capacité de ses habitants à fixer sur de petites pierres des messages exprimés sous forme de pictogrammes.
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Le site préhistorique de Tell Aswad est une butte peu élevée de 250/250m. Il a été découvert par H. de Contenson en 1967 (sondages en 1971 et 1972). Une nouvelle culture : « l’Aswadien » a été créée à la suite de ces travaux, représentative de l’Horizon PPNA (9500 à 8700 avant JC en dates calibrées) pour le Levant central. Or depuis cette création, Tell Aswad est resté le seul site représentant cette culture dans la région, ce qui posait un problème à la communauté scientifique. S’y ajoutait le fait que l’examen technique des séries lithiques par F. Abbès avait révélé des incohérences. Il fut donc décidé de reprendre la fouille de ce site clef pour tester la validité de l’Aswadien. Six campagnes de fouille ont été menées, de 2001 à 2006 sur ce site. La problématique qui a guidé la reprise des fouilles ne se limitait pas au seul problème de l’existence de l’Aswadien mais s’intégrait au questionnement global sur le Néolithique du Levant et sa gestation : la Néolithisation. Il s'agissait surtout de savoir quel rôle avait joué ce site dans la démarche des premiers villages d'agriculteurs éleveurs. Sa position intermédiaire entre deux zones bien connues pour cette étape de la préhistoire, et dans une zone presque vide d'informations, était déterminante. L’occupation su ce site étant longue, des questions ont été posées pour chaque période, toutes peu documentées dans cette région. Occupé d’abord sur l’Horizon PPNB ancien (8700-8200 avant JC), on se demandait si une culture locale s’était alors élaborée sur place ou si elle marquait l’arrivée de migrants originaires de l’Euphrate. On attendait aussi beaucoup des niveaux PPNB moyen (8200-7500 avant JC) qui, prolongeait le PPNB ancien et constituait la principale occupation de ce site. Dans le but de définir les aires culturelles du Levant il était important de savoir si Tell Aswad, à l’époque des gros villages pleinement agricoles avait créé sa propre culture, ou si ses traditions le rattachaient à d’autres régions : Levant Nord ou Levant sud. Telles étaient les principales questions qui guidèrent la reprise des travaux par une nouvelle équipe.
  
=== Résultats ===
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==== Séquence néolithique du Levant ====
  
==== Architecture et organisation du village ====
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C’est grâce à l’établissement d’une stratigraphie fine et précise que l’on a pu réactualiser l’attribution chronologique des différentes phases culturelles qui se succèdent dans le site. Il est rapidement apparu que l’existence de l’Aswadien, culture PPNA créée dans les années 1970, ne pouvait pas être validée. Cette importante correction de la séquence du Néolithique est aujourd’hui admise de tous. Par ailleurs les résultats ont été nombreux, notamment dans le domaine architectural et funéraire.
  
Les premières maisons  bâties sur le site sont rondes. C'est à partir de la cinquième installation villageoise de Jerf el Ahmar que des murs extérieurs intégralement rectilignes apparaissent, en même temps que des murs de refend, eux aussi rectilignes, subdivisant l’espace intérieur. L’invention du chaînage, indispensable à la construction d'angles droits cohérents permet un peu plus tard de construire de véritables maisons rectangulaires. Lors de ces transformations aucun modèle architectural n'est totalement abandonné. On constate au contraire que la maîtrise technique permet la réalisation de formes de plus en plus variées et que celles-ci coexistent dans un même niveau d'occupation.
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==== L'architecture ====
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Une invention locale de la brique a été faite par les habitants de Tell Aswad. Il a été possible de reconstituer un processus en trois étapes : d’abord des murs construits en alternant des couches de terre avec des lits de roseaux, puis remplacement de ces couches de terre par des mottes modelées, enfin modelage et séchage des premières briques. Du début à la fin de l’occupation, les plans des maisons sont arrondis. L’intérieur n’est presque jamais subdivisé, mais il peut être structuré par des aménagements domestiques, parfois regroupés. Toutes ces caractéristiques architecturales sont conformes à ce qui a été trouvé dans les autres sites du sud du Levant. Alors qu’au Nord, notamment dans la vallée de l’Euphrate, les maisons rectangulaires sont construites depuis un millénaire déjà.
  
Plusieurs villages successifs s’établissent sur une première colline (Eminence Est) dont la pente est sculptée en terrasses. La structure de ces installations résulte de projets et de travaux collectifs. Les plus petites constructions sont en haut de pente, les plus grandes s'étagent vers le bas est enterré un bâtiment circulaire à fonction communautaire. Sur une autre colline qui lui fait face. (Éminence Ouest), l'avant-dernière occupation du site témoigne d'un autre type d'organisation. Une dizaine de maisons sont disposées en arc de cercle autour d'un bâtiment communautaire circulaire enterré. Entre les maisons, des espaces extérieurs équipés de foyers étaient consacrés à la préparation commune des aliments.
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Les maisons de Tell Aswad s’étagent sur des terrasses aménagées. Elles sont semi-enterrées dans de nombreux cas. Ce terme est pris dans deux sens. D’abord l’enfouissement n’est pas total mais concerne moins de la moitié de la hauteur sous toit. Ensuite il est destiné en général à couper une pente. Dans la zone fouillée, où la pente s’élève à l’O et au N, l’enfouissement ne concerne que ces orientations, et les maisons semi-enterrées s’ouvrent toutes de plein pied vers le Sud et surtout l’Est, direction dans laquelle on trouve presque toutes les portes. Cette direction est idéale pour abriter les habitations du vent dominant, qui vient de l’Ouest.
  
Ces villages bien organisés possèdent chacun un bâtiment communautaire, enterrés et arrondis, très grands, situés à la périphérie de la zone construite. Pour leur édification des travaux de grande amplitude ont necessité la participation d’une grande partie du groupe. Dans une première phase, il s’agit de lieux dévolus à plusieurs fonctions. L’espace intérieur y est partagé en plusieurs cellules par des divisions radiales. Certaines cellules ont servi pour diverses activités artisanales. D’autres ont servi au stockage des céréales. Dans un de ces bâtiments, un squelette de jeune femme a été trouvé, jeté au sol dans la pièce centrale. Le corps avait été pris dans les décombres de l’édifice, après un incendie vraisemblablement volontaire. Par la suite, le crâne a été prélevé. Cette découverte évoque une certaine violence dont il est difficile de préciser la cause. On peut aussi bien penser à un sacrifice d’ordre rituel qu’à un conflit interne à la communauté ou venant de l’extérieur.
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==== Les Pratiques funéraires ====
  
Dans une deuxième phase, les bâtiments communautaires, toujours ronds, se spécialisent. Ils ne servent plus qu’à des réunions et des cérémonies. En témoigne leur unique équipement, qui est une banquette hexagonale adossée à la totalité du mur. A chaque angle de l’hexagone, un gros poteau en bois recouvert de terre soutient le toit. De lourdes dalles en craie, soigneusement polies consolident le devant de la banquette. Un décor de triangles en champlevé court tout au long de leur rebord sans être interrompu par les poteaux qui sont décorés par le même motif.  
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Tell Aswad a livré de très nombreux restes humains (plus de 100 individus) dont les inhumations indiquent une riche variété de comportements funéraires. On observe un changement radical dans les habitudes, à un moment déterminé de l'occupation. Dans les niveaux datés de l'Horizon PPNB ancien et moyen, les dépôts funéraires sont dans les maisons ou dans leur environnement immédiat. En revanche des cimetières regroupent les morts à la marge du village à partir de la fin du PPNB moyen.  
  
==== Vie quotidienne ====
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Ainsi durant douze niveaux d’occupation successifs, les habitants de Tell Aswad ont inhumé leurs morts dans le contexte intime de leurs habitations. L’étude anthropologique est en cours mais on recueille déjà un premier lot d’informations sur les habitudes. Ainsi ce sont majoritairement de jeunes enfants et surtout des nourrissons qui y sont inhumés. Il semble bien que les morts placés dans les maisons aient été inhumés pendant le temps où elles étaient utilisées ; ils ont donc fait partie du quotidien des vivants. Si la plupart sont dissimulés dans les murs, on trouve plusieurs cas où les inhumations sont très visibles, signalées par une construction émergeant au-dessus du sol.
  
Le site est très riche en outillages de silex et d'os caractéristiques du PPNA dans le Moyen-Euphrate. Si les pointes de projectile attestent que la chasse reste une activité importante, ce sont les couteaux qui ont demandé le plus d’investissement technique, Or certains servent de faucilles, ce qui est révélateur à cette époque du début de l’agriculture. Comme est révélatrice l’omniprésence des outils de mouture dans les maisons, où un espace particulier est souvent équipé par trois meules groupées.  
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A la fin de l’occupation du site de Tell Aswad on constate un changement radical dans les pratiques funéraires. Les défunts ne reposent plus dans l’environnement intime de la cellule familiale, mais regroupés dans une aire funéraire, située en marge de la zone construite. Le futur espace sépulcral est isolé et préparé. Son emplacement est légèrement creusé dans les décombres d’anciennes constructions. Un acte fondateur marque le début de son utilisation : le dépôt de crânes surmodelés. Ils inaugurent en même temps une sépulture collective qui occupera une position privilégiée tout au long du fonctionnement de l’aire funéraire. Toutes les sépultures sont révélatrices d’un traitement très sophistiqué réservé aux défunts : nombreuses manipulations des restes, regroupements de corps, prélèvements de crânes etc… Leur étude détaillée, en cours, donnera des indications précieuses sur les traditions et les liens sociaux du groupe. Parmi ces traditions, celles du surmodelage des crânes est la plus fascinante et la plus révélatrice.  
  
Les études environnementales indiquent que le site se trouvait à la charnière d'une forêt-steppe dominée par l'amandier sauvage et le grand térébinthe (pistachier) et de la (forêt longeant le fleuve, peuplée de frênes, peupliers, saules, tamaris et aulnes. L'alimentation végétale est centrée sur l'orge et les lentilles. Il y a de fortes présomptions pour que l’orge, encore de morphologie sauvage, ait été déjà cultivée à Jerf el Ahmar. Quant à la chasse elle portait surtout sur les gazelles et les équidés sauvages, ainsi que sur les aurochs. Les restes d'oiseaux sont abondants avec des rapaces et de nombreux oiseaux aquatiques. La pêche était peu pratiquée. Le seul animal domestique était le chien.
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Le prélèvement de crânes à partir de corps inhumés date du Natoufien. Mais ce qui est nouveau, et connu seulement dans sept sites du Levant Sud, c’est que certains de ces crânes reçoivent un traitement particulier. Le crâne ayant été prélevé et nettoyé, un visage est modelé directement sur l’os à l’aide de terre et de chaux, puis peint. Aswad a livré neuf crânes surmodelés provenant de deux aires successives. Ils sont tous différents tout en ayant de nombreux points communs, aussi bien sur le plan technique que stylistique.  
  
==== Symbolisme et croyances ====
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==== Le mobilier ====
  
Le système symbolique de ces populations du début de l’agriculture ne fait référence qu’au monde animal sauvage. Il est le même que celui de l’Anatolie du SE où il s’exprime à travers d’impressionnantes sculptures mégalithiques. Ces sculptures existent, sur une plus petite échelle, dans un des bâtiments communautaires de Jerf, mais dans ce site son expression est en général modeste. Des figurines en pierre et des gravures montrent des félins, serpents, scorpions et rapaces, bien plus rarement des figures humaines. Ces figures se combinent parfois avec des signes abstraits pour former des représentations complexes, chargées de sens. Ces « pictogrammes » ont pu jouer le rôle d'aide-mémoire faisant allusion à des récits ou des messages, peut-être de caractère mythique ou initiatique.
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Tell Aswad a livré des outils en silex et en os, du matériel de mouture, des témoins de l'usage du tissage et de la vannerie, des récipients, des éléments de parure et des figurines en terre et en pierre.  
  
== Bibliographie choisie ==
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L’étude des outils de silex permet de faire commencer l’occupation à l’Horizon PPNB ancien et de constater son épanouissement au PPNB moyen, jusqu’au PPNB récent. Parmi les outils et armes typiques du site on trouve de grandes lames faucilles denticulées et des pointes à encoches dites "pointes d'Aswad", associées des pointes à long pédoncule  et des "pointes de Jéricho" à pédoncule et ailerons.
  
Gourichon l. 2002 Bird Remains from Jerf el Ahmar, a PPNA Site in Northern Syria, with Special Reference to the Griffon Vulture (Gyps fulvus). In : Buitenhuis H., Choyke A.M., Mashkour M., Al-Shiyab A.H. (eds), Archaeozoology of the Near East V : 138-152. Proceedings of the fifth international symposium on the archaeozoology of southwestern Asia and adjacent areas (ASWA, Amman, 2000), Gröningen : ARC - Publicatie 62.
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Tell Aswad date de la période où la céramique usuelle n’est pas encore inventée. Les récipients retrouvés sont en pierre ou en terre crue. Les contenants fixes sont bien attestés dans l’architecture, sous forme de casiers. Dans l’un d’eux une récolte pure de grains carbonisés le désigne comme un silo. Par ailleurs plusieurs empreintes de panier spiralé montrent, très clairement, le type de vannerie qui était le plus couramment utilisé par les paysans de tell Aswad. Une empreinte de tissu rebrodé a même été enregistrée par un fragment de plâtre. Du lin cultivé a été trouvé dans le même niveau.
  
Helmer D., ROITEL V., SAÑA M., WILLCOX G. 1998 Interprétations climatiques des données archéozoologiques et archéobotaniques en Syrie du nord de 16000 BP à 7000 BP, et les débuts de la domestication des plantes et des animaux.. In : FORTIN M., AURENCHE O. (éds), Espace naturel, espace habité en Syrie du Nord (10è-2è millénaires av. J.-C.) - Actes du Colloque tenu à l'Université Laval (Québec) du 5 au 7 mai 1997, Toronto, Canadian Society for Mesopotamian Studies (Bull. 33), Lyon, Maison de l'Orient Méditerranéen (TMO 28)
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Tell Aswad est riche en représentations humaines et animales, ainsi qu’en petits objets aux formes géométriques simples : petites sphères, cônes, disques. Presque tous ces objets sont modelés en terre argileuse, souvent mélangée à des végétaux. On les trouve souvent dans des aires où le fumier était brûlé. Il est possible que ces objets y aient été volontairement cuits.
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Enfin on trouve des parures en matières diverses, le plus souvent importées, à Tell Aswad. Certaines ont été trouvées en contexte funéraire.  
  
Helmer D., Gourichon l. Stordeur d. 2004. A l'aube de la domestication animale. Imaginaire et symbolisme animal dans les premières sociétés néolithiques du nord du Proche-Orient. Anthropozoologica, 39 (1). (Colloque international HASRI Domestications animales, Dimensions sociales et symboliques. Hommage à J. Cauvin. Lyon, novembre 2002). 143-163.
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Exploitation du milieu végétal et animal
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Peu de faune a été retrouvée dans les premiers niveaux, correspondant au PPNB ancien. Le fort pourcentage de caprins, inhabituel pour cette période, suggère soit une chasse de chèvres sauvages soit un élevage de chèvres. Pour le moment, cette question importante pour une période où commence tout juste la domestication des animaux reste ouverte. Mais à partir du PPNB moyen, la présence des animaux domestiques est assurée. On trouve des porcins, ovins, caprins et bovins. Pour les deux derniers, on note l’exploitation conjointe de la viande et du lait. De plus, les bovins présentent souvent des pathologies consécutives à leur emploi pour le travail. L’image qui résulte de l’étude archéozoologique est celle d’un village d’agriculteurs et d’éleveurs en pleine possession des techniques de production alimentaires. Mais la chasse est bien représentée avec deux espèces d’équidés, deux gazelles (gazelle de montagne et gazelle de Perse), le sanglier, des carnivores, de nombreux oiseaux d’eau et quelques oiseaux des steppes. Enfin la pêche est pratiquée durant toute l’occupation du site.  
  
Jammous B., Stordeur D. 1999. Jerf el Ahmar, Mureybétien, Moyen Euphrate, Syrie, Xe millénaire avant JC. In : olmo lete G. del et montero fenollos j.-L. Archaeology of The Upper Syrian Euphrates. The Tishrim Dam Area. Proceedings if the International Symposium Barcelona, 1998, 57-69.
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La culture des céréales était pratiquée sur le site dès le début comme l’atteste la présence de blé amidonnier et d'orge. Les céréales ne pouvaient pas exister à l’état sauvage dans l’environnement proche. De plus on trouve, associé au blé, le cortège habituel des "mauvaises herbes" qui accompagne l’agriculture. Des graines de lin étaient présentes également. Des fruits, figues et pistaches, ont été apparemment très appréciés car on les trouve en quantité importantes. Enfin les roseaux étaient très largement utilisés, surtout comme armature dans l'architecture, mais également pour les nattes et vanneries et peut-être comme litière voire comme fourrage.  
  
Sanchez-Priego J.-A., BRENET M. 2007. Approche expérimentale des modes de fabrication et de fonctionnement des herminettes de type Mureybet. In Astruc L., Binder D., Briois F. (Eds) Systèmes techniques et communautés du Néolithique précéramique au Proche-Orient. Technical Systems and Near Eastern PPN Communities. Antibes, APDCA, 33-45.
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La forte présence de marqueurs d'eau comme les roseaux, les joncs, les tamaris, frênes et peupliers montre que le site était proche d'un milieu très humide. La présence d’ossements de poissons et d’oiseaux aquatiques comme les canards, la grue, l’oie montre elle aussi que le site était implanté près d’un lac et que les habitants néolithiques d'Aswad en ont pleinement exploité les ressources.
  
Stordeur D. et Jammous B. 1996. D’énigmatiques plaquettes gravées néolithiques. ''Archéologia'', 332, 36-41.
 
  
Stordeur D., Jammous B., Helmer D., Willcox G. 1996. Jerf el Ahmar : a New Mureybetian Site (PPNA) on the Middle Euphrates. ''Neo-lithics'' 2, 1-2.
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== Bibliographie choisie ==
 
 
Stordeur D., Helmer D., Willcox G. 1997. Jerf el Ahmar, un nouveau site sur le moyen Euphrate, ''B.S.P.F.'', 93, 1-4.
 
  
Stordeur D. 1999. Organisation de l’espace construit et organisation sociale dans le Néolithique de Jerf el Ahmar (Syrie, Xe-IXe millénaire av JC). In Braemer F ; Cleuziou S. et Coudart A. (eds.) :  Habitat et Société , XIXe Rencontres Internationales et d’Archéologie et d’Histoire d’Antibes. Antibes, APDCA. 131-149.
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Helmer D. ; Gourichon L. 2008. Premières données sur les modalités de subsistance dans les niveaux récents de Tell Aswad (Damascène, Syrie) – fouilles 2001-2005. In Vila E., Gourichon L., Buitenhuis H. & Choyke A. (éd.), Archaeozoology of the Southwest Asia and Adjacent Areas VIII. Actes du 8e colloque de l'ASWA (Lyon, 28 juin-1er juillet 2006). Lyon, Travaux de la Maison de l'Orient 49, volume 1, pp. 119-151.
  
Stordeur D. 2000. Jerf El Ahmar et l'émergence du Néolithique au Proche Orient. In  Guilaine J. (ed) Premiers paysans du monde. Naissance des agricultures. Séminaire du Collège de France. Paris, Errance. 33-60.
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Helmer D. et Gourichon L. Accepté 2007. Premières données sur les modalités de subsistances dans les niveaux récents (PPNB moyen à Néolithique à Poterie) de Tell Aswad en Damascène (Syrie), Fouilles 2001-2005, in Vila E. et Gourichon L. (eds), ASWA Lyon juin 2006
  
Stordeur D. 2000. New discoveries in architecture and symbolism at Jerf el Ahmar (1997-1999 Syria) (traduction E. Willcox) Neo-lithics 1/00, 1-4..
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Stordeur D. 2003. Tell Aswad. Résultats préliminaires des campagnes 2001 et 2002. Neo Lithics 1/03, 7-15
  
Stordeur D. ; Brenet M. ; Der Aprahamain G. ; Roux J.-Cl. 2000. Les bâtiments communautaires de Jerf el Ahmar et Mureybet. Horizon PPNA. Syrie. ''Paléorient'', 26/1, 29-44.
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Stordeur D. 2003. Des crânes surmodelés à Tell Aswad de Damascène. (PPNB - Syrie). Paléorient, CNRS Editions, 29/2, 109-116.
  
Stordeur D. et Abbes F. 2002. Du PPNA au PPNB : mise en lumière d’une phase de transition à Jerf el Ahmar (Syrie). ''Bulletin de la Société préhistorique française'', 99, 3, 563-595.
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Stordeur D. ; Jammous B. ; Khawam R. ; Morero E. 2006. L'aire funéraire de Tell Aswad (PPNB). In HUOT J.-L. et STORDEUR D. (Eds) Hommage à H. de Contenson. Syria, n° spécial, 83, 39-62.  
  
Stordeur D. 2003. Symboles et imaginaire des premières cultures néolithiques du Proche-Orient (haute et moyenne vallée de l’Euphrate) In GUILAINE (Ed) ''Arts et symboles du Néolithique et de la Protohistoire''. Paris, Errance.15-37. (Collection des Hespérides)
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Stordeur D., Khawam R. 2007.Les crânes surmodelés de Tell Aswad (PPNB, Syrie). Premier regard sur l’ensemble, premières réflexions. Syria, 84, 5-32.
  
Stordeur D. 2006. Les bâtiments collectifs des premiers néolithiques de l’Euphrate. Création, standardisation et mémoire des formes architecturales. In Butterlin P., Lebeau M., Montchambert J.Y., Montero-Fenollos J.L., Müller B. Les espaces syro-mésopotamiens. Dimensions de l'expérience humaine au Proche-Orient. Hommage offert à Jean Margueron. Bruxelles, Brepolls, Subartu 17. 19-31
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Stordeur D., Khawam R. 2008. Une place pour les morts dans les maisons de Tell Aswad (Syrie). (Horizon PPNB ancien et PPNB moyen). Workshop Houses for the living and a place for the dead, Hommage à J. Cauvin. Madrid, 5ICAANE.

Version du 23 novembre 2010 à 18:18

== Mission archéologique El Kowm-Mureybe. Fouille franco-syrienne de Tell Aswad. Co-direction D. Stordeur (France) et B. Jamous (Syrie) ==

Localisation

Le site préhistorique de Tell Aswad se trouve à l’extrémité orientale du village de Jdeidet el Khâss, à 30km à l’ESE de Damas.

Coordonnées Est. Nord.

Historique de la mission : La mission permanente El Kowm-Mureybet

Cette mission a été créée en 1978 par Jacques Cauvin auquel a succédé, en 1993, Danielle Stordeur. Frédéric Abbès en prendra la direction en 2010. Le but de sa création était de prolonger les recherches effectuées à Mureybet (moyen Euphrate) entre 1971 et 1974. Ce site, occupé du XIIe au VIIIe millénaire avant J.-C., était devenu un site de référence pour la néolithisation du Proche-Orient. La nouvelle mission se concentra d’abord sur la néolithisation d’une région semi-désertique, celle de la steppe de Palmyre. Plusieurs dizaines de sites allant du Paléolithique aux âges des métaux furent identifiés et trois sites fouillés : El Kowm 2, Qdeir 1 et Nadaouiyeh (VIIe millénaire avant J.-C.). A partir de 1989, la construction sur l'Euphrate du barrage de Tichrine amena les autorités syriennes à promouvoir un programme archéologique de sauvetage. La mission se vit confier le site de Dja'de el Mughara (IXe millénaire avant J.-C.) dont la fouille, dirigée par Éric Coqueugniot est une mission autonome depuis 2007. La fouille du site de Cheikh Hassan, sur le lac Assad, fut menée en 1993 (dir. D. Stordeur). En 1995, la DGAM de Syrie accordait à la mission un permis de fouille franco-syrienne (dir. D. Stordeur et B. Jamous) pour Jerf el Ahmar, découvert quelques années auparavant par une équipe américaine (T. Mac Clellan et M. Mottram). A la fin des fouilles sur ce site en 1999, un nouveau programme franco syrien fut confié aux mêmes co-directeurs, cette fois dans la région de Damas à Tell Aswad. Les fouilles dans ce site s’arrêtèrent en 2007. Enfin, après des travaux de prospection et de sondages, F. Abbès prit la direction d’une vaste opération de fouilles franco-syriennes (co-direction T. Yartah) dans la région du Bal’as à partir de 2002. Cette opération se développe actuellement sur un programme de plusieurs années et concerne au moins quatre sites.


Organisation scientifique. Principaux partenaires scientifiques

Organisation scientifique

  • Industrie lithique : F. Abbès, Ingénieur de recherche CNRS, Archéorient
  • Archéobotanique : G. Willcox, Chercheur, C.N.R.S., Archéorient (avec L. Herveux et H. Pessin post-doc)
  • Archéozoologie : D. Helmer, Chercheur, C.N.R.S. Archéorient (avec L. Gourichon et E. Blaise, post-doc)
  • Anthropologie : R. Khawam, Doctorante, Université Lyon 2
  • Géoarchéologie : J.E. Brochier, Chercheur CNRS, ESEP, Université Aix en Provence
  • Matériaux importés et Parure : H. Alarashi Doctorante, Université Lyon 2, S. Delerue, post-doc

Soutien financier

Ministère des Affaires étrangères France : principal soutien financier. Autres partenaires : Direction générale des Antiquités et des musées de Syrie (DGAM) (cofinancement annuel). CNRS. Université Lumière Lyon 2 (bourses étudiants).

Laboratoires partenaires

Centre de datation par le radiocarbone, université Claude Bernard - Lyon I. ESEP, Université Aix en Provence.

Résultats et perspectives

Résumé

Le site préhistorique de Tell Aswad est une butte peu élevée de 250/250m. Il a été découvert par H. de Contenson en 1967 (sondages en 1971 et 1972). Une nouvelle culture : « l’Aswadien » a été créée à la suite de ces travaux, représentative de l’Horizon PPNA (9500 à 8700 avant JC en dates calibrées) pour le Levant central. Or depuis cette création, Tell Aswad est resté le seul site représentant cette culture dans la région, ce qui posait un problème à la communauté scientifique. S’y ajoutait le fait que l’examen technique des séries lithiques par F. Abbès avait révélé des incohérences. Il fut donc décidé de reprendre la fouille de ce site clef pour tester la validité de l’Aswadien. Six campagnes de fouille ont été menées, de 2001 à 2006 sur ce site. La problématique qui a guidé la reprise des fouilles ne se limitait pas au seul problème de l’existence de l’Aswadien mais s’intégrait au questionnement global sur le Néolithique du Levant et sa gestation : la Néolithisation. Il s'agissait surtout de savoir quel rôle avait joué ce site dans la démarche des premiers villages d'agriculteurs éleveurs. Sa position intermédiaire entre deux zones bien connues pour cette étape de la préhistoire, et dans une zone presque vide d'informations, était déterminante. L’occupation su ce site étant longue, des questions ont été posées pour chaque période, toutes peu documentées dans cette région. Occupé d’abord sur l’Horizon PPNB ancien (8700-8200 avant JC), on se demandait si une culture locale s’était alors élaborée sur place ou si elle marquait l’arrivée de migrants originaires de l’Euphrate. On attendait aussi beaucoup des niveaux PPNB moyen (8200-7500 avant JC) qui, prolongeait le PPNB ancien et constituait la principale occupation de ce site. Dans le but de définir les aires culturelles du Levant il était important de savoir si Tell Aswad, à l’époque des gros villages pleinement agricoles avait créé sa propre culture, ou si ses traditions le rattachaient à d’autres régions : Levant Nord ou Levant sud. Telles étaient les principales questions qui guidèrent la reprise des travaux par une nouvelle équipe.

Séquence néolithique du Levant

C’est grâce à l’établissement d’une stratigraphie fine et précise que l’on a pu réactualiser l’attribution chronologique des différentes phases culturelles qui se succèdent dans le site. Il est rapidement apparu que l’existence de l’Aswadien, culture PPNA créée dans les années 1970, ne pouvait pas être validée. Cette importante correction de la séquence du Néolithique est aujourd’hui admise de tous. Par ailleurs les résultats ont été nombreux, notamment dans le domaine architectural et funéraire.

L'architecture

Une invention locale de la brique a été faite par les habitants de Tell Aswad. Il a été possible de reconstituer un processus en trois étapes : d’abord des murs construits en alternant des couches de terre avec des lits de roseaux, puis remplacement de ces couches de terre par des mottes modelées, enfin modelage et séchage des premières briques. Du début à la fin de l’occupation, les plans des maisons sont arrondis. L’intérieur n’est presque jamais subdivisé, mais il peut être structuré par des aménagements domestiques, parfois regroupés. Toutes ces caractéristiques architecturales sont conformes à ce qui a été trouvé dans les autres sites du sud du Levant. Alors qu’au Nord, notamment dans la vallée de l’Euphrate, les maisons rectangulaires sont construites depuis un millénaire déjà.

Les maisons de Tell Aswad s’étagent sur des terrasses aménagées. Elles sont semi-enterrées dans de nombreux cas. Ce terme est pris dans deux sens. D’abord l’enfouissement n’est pas total mais concerne moins de la moitié de la hauteur sous toit. Ensuite il est destiné en général à couper une pente. Dans la zone fouillée, où la pente s’élève à l’O et au N, l’enfouissement ne concerne que ces orientations, et les maisons semi-enterrées s’ouvrent toutes de plein pied vers le Sud et surtout l’Est, direction dans laquelle on trouve presque toutes les portes. Cette direction est idéale pour abriter les habitations du vent dominant, qui vient de l’Ouest.

Les Pratiques funéraires

Tell Aswad a livré de très nombreux restes humains (plus de 100 individus) dont les inhumations indiquent une riche variété de comportements funéraires. On observe un changement radical dans les habitudes, à un moment déterminé de l'occupation. Dans les niveaux datés de l'Horizon PPNB ancien et moyen, les dépôts funéraires sont dans les maisons ou dans leur environnement immédiat. En revanche des cimetières regroupent les morts à la marge du village à partir de la fin du PPNB moyen.

Ainsi durant douze niveaux d’occupation successifs, les habitants de Tell Aswad ont inhumé leurs morts dans le contexte intime de leurs habitations. L’étude anthropologique est en cours mais on recueille déjà un premier lot d’informations sur les habitudes. Ainsi ce sont majoritairement de jeunes enfants et surtout des nourrissons qui y sont inhumés. Il semble bien que les morts placés dans les maisons aient été inhumés pendant le temps où elles étaient utilisées ; ils ont donc fait partie du quotidien des vivants. Si la plupart sont dissimulés dans les murs, on trouve plusieurs cas où les inhumations sont très visibles, signalées par une construction émergeant au-dessus du sol.

A la fin de l’occupation du site de Tell Aswad on constate un changement radical dans les pratiques funéraires. Les défunts ne reposent plus dans l’environnement intime de la cellule familiale, mais regroupés dans une aire funéraire, située en marge de la zone construite. Le futur espace sépulcral est isolé et préparé. Son emplacement est légèrement creusé dans les décombres d’anciennes constructions. Un acte fondateur marque le début de son utilisation : le dépôt de crânes surmodelés. Ils inaugurent en même temps une sépulture collective qui occupera une position privilégiée tout au long du fonctionnement de l’aire funéraire. Toutes les sépultures sont révélatrices d’un traitement très sophistiqué réservé aux défunts : nombreuses manipulations des restes, regroupements de corps, prélèvements de crânes etc… Leur étude détaillée, en cours, donnera des indications précieuses sur les traditions et les liens sociaux du groupe. Parmi ces traditions, celles du surmodelage des crânes est la plus fascinante et la plus révélatrice.

Le prélèvement de crânes à partir de corps inhumés date du Natoufien. Mais ce qui est nouveau, et connu seulement dans sept sites du Levant Sud, c’est que certains de ces crânes reçoivent un traitement particulier. Le crâne ayant été prélevé et nettoyé, un visage est modelé directement sur l’os à l’aide de terre et de chaux, puis peint. Aswad a livré neuf crânes surmodelés provenant de deux aires successives. Ils sont tous différents tout en ayant de nombreux points communs, aussi bien sur le plan technique que stylistique.

Le mobilier

Tell Aswad a livré des outils en silex et en os, du matériel de mouture, des témoins de l'usage du tissage et de la vannerie, des récipients, des éléments de parure et des figurines en terre et en pierre.

L’étude des outils de silex permet de faire commencer l’occupation à l’Horizon PPNB ancien et de constater son épanouissement au PPNB moyen, jusqu’au PPNB récent. Parmi les outils et armes typiques du site on trouve de grandes lames faucilles denticulées et des pointes à encoches dites "pointes d'Aswad", associées des pointes à long pédoncule et des "pointes de Jéricho" à pédoncule et ailerons.

Tell Aswad date de la période où la céramique usuelle n’est pas encore inventée. Les récipients retrouvés sont en pierre ou en terre crue. Les contenants fixes sont bien attestés dans l’architecture, sous forme de casiers. Dans l’un d’eux une récolte pure de grains carbonisés le désigne comme un silo. Par ailleurs plusieurs empreintes de panier spiralé montrent, très clairement, le type de vannerie qui était le plus couramment utilisé par les paysans de tell Aswad. Une empreinte de tissu rebrodé a même été enregistrée par un fragment de plâtre. Du lin cultivé a été trouvé dans le même niveau.

Tell Aswad est riche en représentations humaines et animales, ainsi qu’en petits objets aux formes géométriques simples : petites sphères, cônes, disques. Presque tous ces objets sont modelés en terre argileuse, souvent mélangée à des végétaux. On les trouve souvent dans des aires où le fumier était brûlé. Il est possible que ces objets y aient été volontairement cuits. Enfin on trouve des parures en matières diverses, le plus souvent importées, à Tell Aswad. Certaines ont été trouvées en contexte funéraire.

Exploitation du milieu végétal et animal Peu de faune a été retrouvée dans les premiers niveaux, correspondant au PPNB ancien. Le fort pourcentage de caprins, inhabituel pour cette période, suggère soit une chasse de chèvres sauvages soit un élevage de chèvres. Pour le moment, cette question importante pour une période où commence tout juste la domestication des animaux reste ouverte. Mais à partir du PPNB moyen, la présence des animaux domestiques est assurée. On trouve des porcins, ovins, caprins et bovins. Pour les deux derniers, on note l’exploitation conjointe de la viande et du lait. De plus, les bovins présentent souvent des pathologies consécutives à leur emploi pour le travail. L’image qui résulte de l’étude archéozoologique est celle d’un village d’agriculteurs et d’éleveurs en pleine possession des techniques de production alimentaires. Mais la chasse est bien représentée avec deux espèces d’équidés, deux gazelles (gazelle de montagne et gazelle de Perse), le sanglier, des carnivores, de nombreux oiseaux d’eau et quelques oiseaux des steppes. Enfin la pêche est pratiquée durant toute l’occupation du site.

La culture des céréales était pratiquée sur le site dès le début comme l’atteste la présence de blé amidonnier et d'orge. Les céréales ne pouvaient pas exister à l’état sauvage dans l’environnement proche. De plus on trouve, associé au blé, le cortège habituel des "mauvaises herbes" qui accompagne l’agriculture. Des graines de lin étaient présentes également. Des fruits, figues et pistaches, ont été apparemment très appréciés car on les trouve en quantité importantes. Enfin les roseaux étaient très largement utilisés, surtout comme armature dans l'architecture, mais également pour les nattes et vanneries et peut-être comme litière voire comme fourrage.

La forte présence de marqueurs d'eau comme les roseaux, les joncs, les tamaris, frênes et peupliers montre que le site était proche d'un milieu très humide. La présence d’ossements de poissons et d’oiseaux aquatiques comme les canards, la grue, l’oie montre elle aussi que le site était implanté près d’un lac et que les habitants néolithiques d'Aswad en ont pleinement exploité les ressources.


Bibliographie choisie

Helmer D. ; Gourichon L. 2008. Premières données sur les modalités de subsistance dans les niveaux récents de Tell Aswad (Damascène, Syrie) – fouilles 2001-2005. In Vila E., Gourichon L., Buitenhuis H. & Choyke A. (éd.), Archaeozoology of the Southwest Asia and Adjacent Areas VIII. Actes du 8e colloque de l'ASWA (Lyon, 28 juin-1er juillet 2006). Lyon, Travaux de la Maison de l'Orient 49, volume 1, pp. 119-151.

Helmer D. et Gourichon L. Accepté 2007. Premières données sur les modalités de subsistances dans les niveaux récents (PPNB moyen à Néolithique à Poterie) de Tell Aswad en Damascène (Syrie), Fouilles 2001-2005, in Vila E. et Gourichon L. (eds), ASWA Lyon juin 2006

Stordeur D. 2003. Tell Aswad. Résultats préliminaires des campagnes 2001 et 2002. Neo Lithics 1/03, 7-15

Stordeur D. 2003. Des crânes surmodelés à Tell Aswad de Damascène. (PPNB - Syrie). Paléorient, CNRS Editions, 29/2, 109-116.

Stordeur D. ; Jammous B. ; Khawam R. ; Morero E. 2006. L'aire funéraire de Tell Aswad (PPNB). In HUOT J.-L. et STORDEUR D. (Eds) Hommage à H. de Contenson. Syria, n° spécial, 83, 39-62.

Stordeur D., Khawam R. 2007.Les crânes surmodelés de Tell Aswad (PPNB, Syrie). Premier regard sur l’ensemble, premières réflexions. Syria, 84, 5-32.

Stordeur D., Khawam R. 2008. Une place pour les morts dans les maisons de Tell Aswad (Syrie). (Horizon PPNB ancien et PPNB moyen). Workshop Houses for the living and a place for the dead, Hommage à J. Cauvin. Madrid, 5ICAANE.