Tell Feres al-Sharqi

De Archéologie au Proche-Orient
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Fiche descriptive

  • Localisation: Syrie
  • Cadre institutionnel: DGAMS, CNRS UMR 7041, Ifpo
  • Responsables de la mission: Juan Kassem (DGAM), Jean-Daniel Forest et Régis Vallet (CNRS, UMR 7041)
  • Équipe:
    • MM. Ramadan Khalil, Rateb al Debs, Arnaud Watel, Alain Gaulon, Frédéric Guyot, Ismael Muhammed al Ahmed, Mouheyddin Ossman (étudiants)
    • Salem Hawwas ‘Issa et Elias Abd el Nur (archéologues de la DGAM).
    • MM. Marie-Catherine Beaufeist, Muwafak Daher (DGAM), Laszlo Gabor et Zsolt Gabor, Astrid Emery (relevés de terrain)
    • Ali Othman et Faez Hayyash (dessins du matériel)
    • Mme Victoria de Casteja (construction de la base documentaire)
    • Johnny Samuele Baldi (étudiant Paris I, fouilleur et céramologue)
    • Mme Françoise Toulemonde (prélèvements botaniques)
    • Mme Emmanuelle Vila (vestiges fauniques)
    • M. Ahmed al Khaled (prospection géophysique du site)
    • M. Antonio Barbosa Lira (intendance)
  • Résumé: La Syrie du Nord offre une problématique passionnante pour qui s’intéresse aux structures sociales aux hautes époques et à la façon dont celles-ci évoluent : tandis que la première moitié du 5e millénaire ne connaît que de simples communautés villageoises (culture d’Obeid), des communautés urbaines sont en place au début du 3e millénaire (culture de Ninive 5). Beaucoup de choses se passent par conséquent dans l’intervalle, pendant le Chalcolithique Récent (LC 1-5).
  • Datation: 5e et 4e millénaires (Obeid et Chalcolithique)

Géolocalisation

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Notice

Description générale

fig 4 : Le site (7m au-dessus de la plaine) vu du Sud

La Syrie du Nord offre une problématique passionnante pour qui s’intéresse aux structures sociales aux hautes époques et à la façon dont celles-ci évoluent : tandis que la première moitié du 5e millénaire ne connaît que de simples communautés villageoises (culture d’Obeid), des communautés urbaines sont en place au début du 3e millénaire (culture de Ninive 5). Beaucoup de choses se passent par conséquent dans l’intervalle, pendant le Chalcolithique Récent (Late Chalcolithic 1-5). Il s’agit à la fois de caractériser les cultures correspondantes, encore mal connues, et de comprendre comment elles évoluent dans le sens d’une complexité accrue. Quelques niveaux du Chalcolithique Récent ont déjà été atteints sur divers sites du bassin du Khabour (Brak, Hamoukar, Leilan, Mashnaqa, Ziyadeh) mais ceux-ci ne nous donnent guère accès aux structures sociales, car il faut pour cela un dégagement très ample, sur un site où les couches des 5e et 4e millénaires sont accessibles en surface. C’est le cas à Tell Feres, découvert par J. Oates et H.T. Wright près de Tell Brak (Fig. 1-2). Le site atteint près de 4 ha et domine la plaine environnante de 7 m (Fig. 3-4). Il se trouve dans une zone d’agriculture sèche, propice au développement des communautés sédentaires.





Enjeux scientifiques, problématiques, résultats principaux

Les vestiges architecturaux

fig. 6 : Le complexe LC4 du Niveau 2 vu de l’est

Au bout de quatre campagnes (2006-2009), le secteur exploré atteint quelque 700m2 (Fig. 3). Les fouilles s’étendent sur la pente nord du tell, et dix niveaux principaux ont été distingués sur un dénivelé de 5m, allant du Chalcolithique Récent 5 (fin du 4e millénaire) à l’Obeid (milieu du 5e millénaire). Cependant, les différentes phases du Chalcolithique Récent ne sont pas toutes représentées au même degré, et le site se prête surtout à examiner le passage de l’Obeid au début du Chalcolithique Récent (LC1-2). Les principaux vestiges exhumés proviennent des Niveaux 2, 6, 7 et 9.







fig. 5 : Plan du complexe LC4 (Late Chalcolithic = Chalcolithique Récent) du Niveau 2 (vers 3500) : état 2009
fig. 9 : Le complexe du Niveau 2 (état 2008) avec la trame quadrillée qui a servi à l’implanter

Au Niveau 2, près de la surface, sont explorés depuis 2007 les restes d’un vaste complexe Chalcolithique Récent 4 (c. 3600-3350) qui s’étend sur plus de 400m2 (Fig. 5-6). Celui-ci comprend une habitation tripartite (largement emportée par l’érosion) au nord-ouest une vaste cour centrale (100 m2 environ), une cour secondaire au nord-est et toute une série d’annexes au sud et à l’est, ces dernières précédées par une avant-cour au sud de laquelle se trouve l’entrée du complexe (Fig. 7-8). Si la maison tripartite est d’un type bien connu depuis l’Obeid, son inclusion au sein d’un véritable complexe, qui préfigure ceux (proprement urukiens) de la fin du millénaire (Habuba Kabira, Djebel Aruda), est d’une grande nouveauté, d’autant plus que l’ensemble est parfaitement planifié, à partir d’une unité de mesure de 87cm (Fig. 9). La découverte de cette grande résidence, la seule actuellement connue de son époque, éclaire d’un jour radicalement nouveau le degré de développement atteint dans les campagnes nord-syriennes, au milieu du millénaire.







fig. 7 : Restitution en écorché du complexe LC4 du Niveau 2 tel qu’il était connu en 2008
fig. 8 : Restitution 3D du complexe LC4 du Niveau 2 tel qu’il était connu en 2008



Après un Niveau 3,du Chalcolithique Récent 3 (c. 3900-3600), qui n’a été qu’à peine exploré jusqu’ici, mais qui abrite un grand grenier, la séquence stratigraphique fait un bond de plusieurs siècles en arrière, puisque les niveaux antérieurs datent du Chalcolithique Récent 2 (c. 4200-3900).

Sous une série de couches d’abandon (Niveau 4), le Niveau 5 livre une file de pièces secondaires et une pièce majeure attenante, qui semblent esquisser un plan tripartite, pourvu au nord d’une façade à pilastres. Le dégagement de ces vestiges prometteurs, interrompu depuis 2006 par la fouille du Niveau 2, devrait reprendre en 2010.

Un peu plus bas sur la pente, les deux niveaux suivants, assez largement explorés, ne montrent pour l’heure que des bâtiments utilitaires. Le Niveau 6 semble partagé en deux par un long mur à multiples décrochements. A l’ouest se trouvent les restes très fragmentaires d’une sorte d’enclos qui abritait diverses installations de stockage, à l’est un édifice pluricellulaire se distingue par un grand four (Fig. 10-11). Le Niveau 7 associe lui aussi diverses installations utilitaires, en particuliers des greniers, indépendants ou englobés, comme au niveau précédent, dans une sorte d’enclos. Le Niveau 8 reste très évanescent et l’on ne peut guère lui attribuer qu’un silo et deux fours (apparemment de potiers) creusés dans les ruines d’un bâtiment plus ancien.


fig. 12 : Les deux grands bâtiments LC1 du Niveau 9 (vers 4400) vus du Nord (fouilles 2009)
fig. 10 : Bâtiment LC2 du Niveau 6 (vers 4000) et son grand four, vus du SE
fig. 11 : Le grand four LC2 du Niveau 6


Au Niveau 9 (Fig. 12-13) apparaissent des vestiges Chalcolithique Récent 1 (c. 4400-4200) très intéressants. Ce niveau voit la construction simultanée de deux bâtiments (désignés par les sigles GB1 et GB3) séparés par une ruelle large de 2m. Le premier édifice (GB1) est longé par un fossé au nord et à l’ouest, qui recevait l’eau drainée dans de petites rigoles au fond tapissé de tessons. Par la suite, il a été remplacé par un bâtiment plus vaste (GB2) qui intègre l’espace correspondant à l’ancienne ruelle à l’est, et présente des caractères exceptionnels : une façade à redans (dont les éléments en saillie sont pourvus d’une petite niche), une largeur considérable (de l’ordre de 6m) qui explique la mise en place de deux rangs de poteaux pour soutenir la couverture, et enfin son association avec deux sols extérieurs (au nord) tapissés de tessons. En étendant la fouille vers le sud, nous avons découvert un plan totalement inédit : la salle aux poteaux ne se prolonge pas mais fait place à deux étroits couloirs accolés, puis à un secteur dont on peut seulement dire qu’il abrite l’entrée et une cage d’escalier à double volée. A l’est, le troisième édifice fouillé (GB3) se présente comme un bâtiment monocellulaire, avec une vaste pièce accessible (avant la construction de GB2) par deux ouvertures symétriques pourvues d’une crapaudine en basalte. Le cœur de la pièce est occupé par un énorme foyer construit, sorte de cuve de 2,60m2 à l’intérieur de laquelle on faisait du feu. Les ensembles GB2 et GB3 sont manifestement des bâtiments communautaires, mais leur dégagement n’est pas assez avancé pour que les spécificités fonctionnelles de chacun apparaissent clairement.

Enfin, on a commencé à dégager un bâtiment du Niveau 10 (Obeid) abritant un four, peut-être de potier. La prochaine campagne tentera d’achever la fouille des deux grands bâtiments du Niveau 9 et poursuivra celle du bâtiment obeidien du Niveau 10.

Le matériel mobilier

fig 16 : Poinçon en os
fig. 14 : Herminette (ou armature de ciseau) à bois
fig. 15 : Poinçon en os






fig. 18 : Fusaïole (la pièce qui leste le fuseau)
fig. 21 : ‘Spectacle idol’ (idole à lunettes) comme disent les Anglais, en fait un objet utilitaire en terre cuite lié probablement au tissage

Le matériel comprend, à travers l’ensemble de la séquence, des instruments de mouture (molettes, meules en basalte), une abondante industrie lithique où prédomine l’obsidienne, et des outils en pierre vert sombre (haches, herminettes ou ciseaux à bois, quelques marteaux naviformes) (Fig. 14). L’industrie osseuse est attestée par des poinçons en os, une spatule et une aiguille à chas (Fig. 15-17). Parmi les objets en terre cuite, les fusaïoles sont abondantes (Fig. 18-20) mais l’on trouve aussi des ‘idoles à lunettes’ (surtout dans les niveaux LC2) (Fig. 21), qui sont probablement des objets utilitaires, et des figurines animales (Fig. 22). Les ‘balles de fronde’ sont nombreuses, surtout en terre crue. A cela s’ajoutent des fragments de vases en pierre et beaucoup d’éléments de parure : des perles (Fig. 23) de tous formats, taillées dans des matériaux très divers (dont l’obsidienne et la turquoise) et des pendentifs (dont certains, losangiques ou ovales, taillés dans une pierre sombre, portent un décor incisé). On note quelques cachets hémisphériques en pierre et des scellements (Fig. 24-26), portant un décor géométrique (motif cruciforme ou en étoile) ou naturaliste (surtout des caprinés).




fig. 22. : Figurine animale en argile
fig. 23 : Lot de perles découvert dans une tombe d’enfant


Dans le domaine céramique, les plus anciens tessons recueillis remontent à l’Obeid (début du 5e millénaire) et se reconnaissent à leurs beaux décors peints (Fig. 27). Le LC1 prolonge cette tradition obeidienne mais avec des décors simplifiés et de nouvelles formules (peinture noire ou rouge sur une pâte orangée)(Fig. 28). Les ‘Coba Bowls’, des bols assez grossiers dont la surface est reprise par grattage, témoignent pour la première fois d’une tendance à la production en série sur une large échelle. Au LC2, la tradition obeidienne s’atténue un peu plus (avec la disparition du décor peint) et les Coba Bowls se raréfient, tandis que de nouvelles formes apparaissent, avec une céramique rouge lissée caractéristique (Fig. 29). Dans les phases suivantes du Chalcolithique récent, le matériel local s’associe progressivement à du matériel de faciès méridional, lorsque les Urukiens s’installent en Syrie pour se procurer plus loin encore (en Anatolie) les produits dont ils ont besoin (comme le cuivre).


fig. 29 : Jarre LC1 à engobe rouge lissé
fig. 27 : Tessons LC1 de tradition obeidienne
fig. 28 : Coupe LC1 à décor noir sur pâte orangée






Plusieurs tombes d’enfants ou de nouveau-nés ont été découvertes, généralement en pleine terre mais parfois en jarre, et le plus souvent dépourvues de tout matériel. Une tombe construite (en brique), qui abritait un adolescent, était malheureusement pillée. En dehors de ce cas, il ne fait pas de doute que les adultes devaient être rassemblés dans des cimetières hors les murs.

Les analyses botaniques et fauniques sont en cours, mais avons déjà quelques résultats préliminaires. Les animaux consommés sont essentiellement domestiques (mouton, chèvre, porc, bœuf) mais la chasse est également attestée (lièvre, gazelle, équidés, aurochs et oiseaux). Les plantes les plus communes sont des céréales (orge et blé amidonnier) et des légumineuses (lentilles et ers). Des échantillons (bois et surtout graines) ont été rapportés à fins de datation C14, et les analyses sont en cours.

Bibliographie associée

  • Forest J.D. & Vallet R.
    • 2007, « Tell Feres al Sharqi 2006 », Orient Express 2007 1/2, 14-16.
    • 2008, « Tell Feres al Sharqi : un site Chalcolithique Récent dans le Khabur (Syrie) », Paléorient 34/1, 191-98
    • 2009, « Tell Feres al Sharqi 2006 », Chronique Archéologique en Syrie 3.
    • sous presse, « Tell Feres al Sharqi 2008 (3e campagne) », Chronique Archéologique en Syrie 4.
  • J.D. Forest, R. Vallet et J.S. Baldi,
    • A paraître, « Tell Feres al Sharqi, un site LC 1-5 dans le bassin du Khabur (Syrie). Synthèse provisoire au terme de trois campagnes (2006-2008) », pour Annales Archéologiques Arabes Syriennes.

Liens

Les carnets de l'archéologie

Illustrations

fig. 3 : Photo aérienne (Google Earth) du site. Tell Feres al Sharqi (le tell de l’Est) est le tertre de droite
fig. 1 : Carte de la Syrie avec la localisation de Tell Feres
fig. 2 : Carte du bassin du Khabour avec la localisation de Tell Feres


fig. 6 : Le complexe LC4 du Niveau 2 vu de l’est
fig 4 : Le site (7m au-dessus de la plaine) vu du Sud
fig. 5 : Plan du complexe LC4 (Late Chalcolithic = Chalcolithique Récent) du Niveau 2 (vers 3500) : état 2009


fig. 9 : Le complexe du Niveau 2 (état 2008) avec la trame quadrillée qui a servi à l’implanter
fig. 7 : Restitution en écorché du complexe LC4 du Niveau 2 tel qu’il était connu en 2008
fig. 8 : Restitution 3D du complexe LC4 du Niveau 2 tel qu’il était connu en 2008



fig. 12 : Les deux grands bâtiments LC1 du Niveau 9 (vers 4400) vus du Nord (fouilles 2009)
fig. 10 : Bâtiment LC2 du Niveau 6 (vers 4000) et son grand four, vus du SE
fig. 11 : Le grand four LC2 du Niveau 6


fig. 15 : Poinçon en os
fig. 13 : plan des deux grands bâtiments LC1 du Niveau 9 (vers 4400)
fig. 14 : Herminette (ou armature de ciseau) à bois




fig. 18 : Fusaïole (la pièce qui leste le fuseau)
fig 16 : Poinçon en os
fig. 17 : Poinçon en os




fig. 21 : ‘Spectacle idol’ (idole à lunettes) comme disent les Anglais, en fait un objet utilitaire en terre cuite lié probablement au tissage
fig. 19 : Fusaïole (la pièce qui leste le fuseau)
fig. 20 : Fusaïole (la pièce qui leste le fuseau)





fig. 24 : Scellement en argile avec empreinte de sceau (et traces de doigts)
fig. 22. : Figurine animale en argile
fig. 23 : Lot de perles découvert dans une tombe d’enfant



fig. 27 : Tessons LC1 de tradition obeidienne
fig. 25 : Scellement en argile avec empreinte de sceau (et traces de doigts)
fig. 26 : Sceaux en pierre et scellements en argile


fig. 28 : Coupe LC1 à décor noir sur pâte orangée
fig. 29 : Jarre LC1 à engobe rouge lissé