Tell Mohammed Diyab

De Archéologie au Proche-Orient
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Mission archéologique de Tell Mohammed Diyab

Présentation de la mission

De 1987 à 2000, douze campagnes financées par le Ministère des Affaires Étrangères ont été réalisées sous la direction du professeur J.-M. Durand (Prof. Collège de France) principalement sur les niveaux du IIe millénaire (périodes amorrite, mitannienne et médio-assyrienne). Depuis 2005, la mission placée sous la direction de C. Nicolle (CR - CNRS) a entrepris parallèlement à l’achèvement de sa recherche sur la période amorrite, un nouveau programme de recherche sur les occupations du IIIe millénaire, avec deux axes principaux : l’étude de la première fondation du site à la période Dynastique archaïque IIIa (deuxième quart du IIIe millénaire) et la détermination de la nature de l’occupation de la période post-akkadienne (fin du IIIe millénaire). La mission est intégrée dans un programme de géographie historique sur la Mésopotamie de l’UMR 7192 (« Proche-Orient—Caucase, Langues, Archéologie, Cultures ») (Collège de France/CNRS) et reçoit un financement ponctuel du CNRS.

Géolocalisation

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Thème de recherche

Étude d’une métropole régionale de Mésopotamie du Nord du milieu du IIIe millénaire au début du IIe millénaire av. n.è.

Introduction

Depuis près de vingt ans, les membres de la mission archéologique française de Tell Mohammed Diyab (Djézireh syrienne) se sont attachés à révéler l’histoire d’une région qui bien qu’encore en dehors des circuits habituels des touristes n’en fut pas moins, comme en témoignent les nombreux tells qui jalonnent cette région de Haute-Mésopotamie, une région de première importance, véritable corridor qui reliait au IIIe et au IIe millénaires avant notre ère, la Mésopotamie et les régions de l’ouest comme l’Anatolie et le monde méditerranéen).

Courte présentation du site archéologique et de l’objet de la fouille

Depuis 1987, la mission archéologique de Tell Mohammed Diyab étudie ce site de Mésopotamie du Nord (Djézireh syrienne) cherchant à reconstituer les rythmes d’occupation et l’organisation de ce qui a été une métropole d’importance régionale depuis le deuxième quart du IIIe millénaire jusqu’au milieu du IIe millénaire. Elle en étudie les traits culturels locaux trop souvent négligés au profit de l’étude des grandes capitales politiques.

Cette région de Djézireh est importante dans l’histoire du Proche-Orient ancien. Presque totalement dépeuplée après les invasions mongoles, au point de perdre jusqu'au souvenir du nom de ses anciennes métropoles, elle a été un grand corridor qui reliait par le Nord les deux foyers de la civilisation proche-orientale: la Mésopotamie et les riches régions de l'ouest, en contact avec l'Anatolie pourvoyeuse de métal; les mondes de l'Égée et de l'Égypte. En outre favorisée par un régime de précipitations abondantes, par un réseau hydrographique très dense ainsi que par la qualité de ses terres, elle constitue un véritable grenier à blé et permet de plus, l'estive des troupeaux d'ovins venus des régions plus défavorisées du Sud et du Moyen-Euphrate.

Après une première phase d’étude des occupations du Bronze moyen, contemporaines des royaumes amorrites (XVIIIe et XVIIe siècles av. n. è.), une équipe renouvelée travaille depuis 2005 sur les phases d’occupations du IIIe millénaire (fin du Ninivite V, Akkad et post-Akkad entre 2600-2000 av. J.-C.).

Présentation détaillée du site

Tell Mohammed Diyab est localisé en Syrie du Nord-Est, dans la région de la Djézireh, l’ancienne Mésopotamie du Nord (Lat. (DMS) 36°55’33” N, Long. (DMS) 41°33’41” E). Avec son tell principal de 14 ha et des tells satellites répartis sur plus de 80 ha aux alentours, l’ensemble constitue l’un des principaux sites de la région après les très grands tells comme Tell Leilan, Tell Brak, Tell Mozan et Tell Hamoukar. Il représente une métropole régionale de première importance à au moins deux périodes : au milieu du IIIe millénaire (Dynastique archaïque III et Akkad) et durant la première moitié du IIe millénaire (période amorrite) avec des vestiges répartis sur une superficie d’une cinquantaine d’hectares. À partir du milieu du XVIIIe siècle av. n. è. aux périodes mitannienne et médio-assyrienne, l’endroit est occupé de manière plus discontinue et moins dense avant une assez longue période d’abandon jusqu’à la période séleucide. Une nouvelle grande ville est alors bâtie en contrebas du tell principal. Les vestiges retrouvés sur une quarantaine d’hectares signalent que l’occupation y perdure pendant les périodes parthe et byzantine. Par la suite, l’endroit ne servira plus que comme nécropole aux époques médiévales et modernes.

Enjeu scientifique de la recherche

Tell Mohammed Diyab, une métropole régionale des IIIe et IIe millénaires

Le IIIe millénaire est une période clé dans la diffusion des sociétés urbaines hiérarchisées, de l’écriture et de l’apparition des premiers grands royaumes après la disparition de la culture urukéenne à la fin du IVe millénaire. Après une courte phase de déclin des modes de vie urbains, on note un renouveau des occupations dans la région d’abord avec la multiplication des Kranzhügeln, des sites annulaires de sédentaires, mais sans doute liés à des groupes nomades. Entre 2700-2450 av. J.-C. (DA II-DA III ou EJ II-EJ III), une deuxième phase d’urbanisation se développe pour atteindre un niveau jusqu’alors jamais atteint dans le nord puisque la superficie de beaucoup de sites dépasse les 50 ha. Il en est ainsi à Tell Taya (155 ha), Tell Hamoukar (105 ha), Tell Khoshi (92 ha), Tell Leilan (90 ha), Tell Hawa (66 ha) et Tell Mohammed Diyab (55 ha).

Les différents processus d’urbanisation des populations, qu'il s'agisse des Kranzhügeln ou des villes de l'est de la Djézireh, dont fait partie Tell Mohammed Diyab, revêtent des aspects variés. Ils posent la question de la place du nomadisme dans les sociétés proche-orientales, d'où l'importance d'étudier des sites de cette époque pour de multiplier nos connaissances et enrichir les points de vue sur la question.

La fin du IIIe millénaire est souvent considérée comme une période "d'âge sombre" générale à tout le Proche-Orient, intervenant en Mésopotamie après l’effondrement de l’empire d’Akkad. Des découvertes archéologiques récentes amènent à reconsidérer cette idée de crise, du moins pour la Haute-Mésopotamie. La disparition des cultures urbaines n'est pas totale et l'on sait maintenant que certaines villes importantes comme Tell Brak ou Tell Mozan sont alors les sièges de royaumes. D’après nos premières recherches sur les niveaux du IIIe millénaire de Tell Mohammed Diyab, il semble qu’un niveau important d’occupation soit à placer à cette période caractérisée pour le moment par une céramique à pâte verdâtre que l’on trouve mêlée dans les phases supérieures aux premiers exemplaires de la céramique du Khabur peinte caractéristique de la période amorrite suivante.

Ce n'est que vers le XIXe siècle av. n. è. qu'une reprise est constatée dans la région avec l'émergence d'un nouveau royaume, celui de Samsî-Addu qui avait installé sa puissance à Ekallâtum, une ville voisine d'Ashur, et entreprit à partir de là la conquête de la grande route menant des bords du Tigre vers l'Anatolie pourvoyeuse de métal et d'autres territoires (dont Mari) de part et d'autre de cette voie de communication. Tous les sites de la région sont alors réoccupés, comme l'atteste le marqueur que constitue la céramique peinte de la période Khabour. La Djéziré devient, après la chute du royaume de Samsî-Addu, le lieu d'affrontement privilégié des grandes puissances politiques qui visent à dominer le nord du Proche-Orient: Mari, Eshnunna, l'Élam, enfin Babylone.

La même période voit des mouvements intenses de populations, depuis les passages de marchands entre plateau anatolien et Ashur (puis, au-delà, vers Eshnunna et enfin Suse), aux transhumances des Bédouins (plus particulièrement de l'ethnie bensim'alite) qui conduisent leurs troupeaux - par les endroits désertés de la Haute-Djéziré ou les territoires des différents petits royaumes - vers les dépôts salins du Sud-Sindjar et, au-delà, vers le cours inférieur du Moyen-Euphrate (région dite du Suhûm, entre Anat et Hît).

Dans plusieurs grandes cités de Jézireh, cette renaissance est marquée par la construction de palais et de temples, attestée du moins textuellement, par des descriptions et des plans, si la plupart restent à redécouvrir dans des fouilles. Samsî-Addu se fit ainsi construire à Tell Leilan un palais que les fouilles américaines ont mis au jour sur le site. Si Tell Mohammed Diyab est proche de sa capitale, nul document n’y atteste encore les activités de bâtisseur de Samsî-Addu. L'acropole de Tell Mohammed Diyab témoigne cependant à son échelle des turbulences et des phases de prospérité qui rythmèrent la vie de la région durant cette période, mais elle illustre aussi une tradition religieuse architecturale bien distincte de celle mise en œuvre dans les grandes villes

L’urbanisme de Tell Mohammed Diyab

La première fondation du site date de la période du Dynastique archaïque (Early Jezireh) IIIa (3600-3500 av. J.-C.). Il s’agit d’une agglomération construite en partie sur des terrasses à degrés composées de briques crues et dont la hauteur dépasse 10 m. Les niveaux de cette période sont ensuite recouverts par différentes occupations encore peu fouillées de la période d’Akkad (EJ IV). La période post-Akkad (EJ IV) correspond à d’importants aménagements du site identifiés par une technique particulière de construction des murs : sur une assise de gros blocs de basalte est disposée une assise stabilisatrice composée de gros tessons. C’est ainsi que l’on peut dater de cette période le premier état du palais utilisé jusqu’à la fin de la période amorrite.

Les recherches effectuées sur le IIe millénaire ont permis le dégagement sur une grande superficie de deux villes successives de la période amorrite avec une acropole fortifiée, un secteur palatial et une importante zone d’habitat. Certains niveaux de cette période sont conservés sur des hauteurs de 3 m ce qui autorise des études architecturales poussées. Dans l’acropole, les temples dégagés témoignent d’une tradition architecturale différente de celle de la grande capitale voisine de Tell Leilan plus en relation avec le nord de l’Iraq et des sites comme Tell Taya et Tell Basmusian. Il s’agit de temples barlongs avec une entrée localisée dans l’angle droit de la façade et un podium à degrés contre le mur du fond. Les portes sont souvent voûtées et plusieurs pièces annexes sont couvertes par des arcs de briques crues, sans doute pour pallier la rareté du bois dans la région. Sur la butte voisine, un palais érodé dont la construction semble remonter à la fin du IIIe millénaire, est entouré de plusieurs entrepôts contenant de grosses jarres de stockage et de greniers. Il jouait le rôle de centre politico-économique organisant les productions agricole et artisanale sur le territoire de la ville. Le reste du site est occupé par des quartiers d’habitat densément construits où l’on circulait par de petites rues étroites. Là encore, le bon état de conservation de plusieurs de ces maisons permet de constater un usage fréquent de la voûte en briques crues pour la couverture des pièces.

Les pratiques funéraires

Les phases urbaines sont entrecoupées par des phases de relatif abandon. Le tell sert alors de nécropoles aux populations alentour. Des tombes des périodes Dynastique archaïque III, akkadienne et amorrite ont été retrouvées en divers endroits du site : dans les degrés de la terrasse en briques crues, dans la base des murs des maisons abandonnées, ou construites sous les sols de cour. Une tombe voûtée en briques cuites de l’époque amorrite découverte en 2006 nous renseigne notamment sur les rites funéraires avec la découverte de sacrifice d’ânes de diverses autres offrandes funéraires. L’importance des objets en métal découvert dans cette tombe nous renseigne sur le statut social relativement haut du personnage qui y était inhumé.

Quelques éléments de la culture matérielle locale

Dans la culture matérielle, la céramique tient une place importante tant par le volume de sa production que les renseignements qu’elle apporte pour la datation des niveaux et l’insertion du site dans une sphère culturelle. La période de fondation du premier établissement correspond à la fin de la période de la céramique Ninivite 5 incisée et excisée. On trouve aussi de la céramique akkadienne comme ce vase au décor incisé de caprinés allaitant, de la céramique post Akkad à décors peignée et de la céramique Khabur de la première moitié du IIe millénaire avec des formes inédites comme une corne à boire ou ce pied de vase portant un décor fenestré.

Un autre élément important de la culture matérielle est la découverte d’une vingtaine de billes en terre cuite inscrites de signes cunéiformes datant par leur style de la seconde moitié du IIIe millénaire. A chaque fois, les mentions sont brèves. Il s'agit de chiffres et d'idéogrammes sumériens comme "oiseau", "esclave" ou d'indications de temps comme "le troisième jour", "mois". La brièveté des inscriptions ne permet pas d’en savoir beaucoup plus sur le contexte d’utilisation des billes. On sait cependant par les trouvailles de Tell Beydar que l'écriture existait en Haute-Djéziré au milieu du IIIe millénaire avec des formes analogues à celles de Mari dite "présargonique" ou d'Ébla, la découverte des boules de Tell Mohammed Diyab permet d'élargir la problématique posée par l'emprunt de l'écriture cunéiforme par les régions Nord. Avec l'exemple original de Tell Mohammed Diyab, on trouve une pratique qui montre une inspiration typique des débuts de l'écriture. Ces documents doivent donc dater du moment même de l'emprunt et être de peu antérieurs aux textes de Tell Beydar, à moins qu'ils n'attestent concurremment des modalités différentes d'utilisation de l'écrit; ils montrent en tout cas que les gens du Nord n'ont pas emprunté vers le milieu du IIIemillénaire av. n. è., quelque chose de "tout prêt à servir". S'ils ont retrouvé les balbutiements mêmes de la technique, c'est qu'ils ont dû apprendre à noter à partir de zéro. Le fait semble indiquer que la technique a été véhiculée du Sud vers le Nord par l'initiative privée, non pas suite à l'appel de scribes déjà tout formés, embauchés par un pouvoir central, et qui auraient d'emblée fabriqué — vu l'époque — des textes complexes. Par la suite, la pratique de l'écriture créant son besoin, on n'a pas dû manquer de faire venir de vrais techniciens du Sud. L'utilisation des billes inscrites de Tell Mohammed Diyab dans des zones qui devaient relever de la communauté locale doit montrer un stade intermédiaire entre l'emprunt individuel et la «systématisation" de l'archivage.

Publications parues

Nicolle C., 2006, Tell Mohammed Diyab 3. Travaux de 1992-2000 sur les buttes A et B, ERC, Paris.

Nicolle C., 2000 «Les origines de la période Habur en Djéziré: l’apport des fouilles de Tell Mohammed Diyab», in P. Matthiae, A. Enea, L. Peyronel, F. Pinnock (eds.), Proceedings of the First International Congress on the Archaeology of the Ancient Near East, Rome, May 18th-23rd 1998, Roma, p. 1171-1186.

Durand J.-M. et Nicolle C., 1999, «Tell Mohammed Diyab, l'acropole d'un centre régional du IIe millénaire», Archéologia 353, p. 18-27.

Sauvage M., 1997, «Les niveaux du début du Bronze récent à Tell Mohammed Diyab (Syrie)», in Florilegium marianum III. Recueil d’études à la mémoire de Marie-Thérèse Barrelet, Mémoires de N.A.B.U., p. 153-164.

Castel C., 1996, «Un quartier de maisons urbaines du Bronze moyen à Tell Mohammed Diyab (Djézireh Syrienne)», in K. R. Veenhof (ed.), Houses and Households in Ancient Mesopotamia, Papers read at the 40th Rencontre Assyriologique Internationale, Leiden , July 5-8, 1993, Publications de l’Institut historique-archéologique néerlandais de Stamboul (= PIHANS) n°78, Leiden, Istanboul, p. 273-283.

Durand J.-M. (éd.), 1992, Recherches en Haute Mésopotamie. Tell Mohammed Diyab, campagnes 1990 et 1991, Mémoires de N.A.B.U. n°2, SEPOA, Paris.

Durand J.-M. (éd.), 1990, Tell Mohammed Diyab, campagnes 1987 et 1988, Cahiers de N.A.B.U. n°1, SEPOA, Paris.


Pour en savoir plus

L’auteur : Christophe Nicolle, chercheur au CNRS, Directeur de la mission archéologique de Tell Mohammed Diyab

Coordonnées : Institut du Proche-Orient, Collège de France, 52, rue du Cardinal Lemoine, 75005 Paris. Courriel : christophe.nicolle@college-de-france.fr

Lien : www.digitorient.com

Illustrations

fig. 3 : Une vue de la région de la Djézireh
fig. 1 : Carte de localisation de Tell Mohammed Diyab
fig. 2 : Vue aérienne de Tell Mohammed Diyab




fig. 6 : Autel et podium à degrés d’un temple de la première ville d’époque amorrite
fig. 4 : Vue axonométrique du tell principal
fig. 5 : Intérieur d’un temple de la première ville





fig. 9 : Intérieur d’une tombe voûtée du Bronze moyen
fig. 7 : Vue axonométrique de deux temples de la seconde ville d’époque amorrite
8 : Un quartier d’habitat de l’époque amorrite



12 : Corne à boire de type Khabur provenant de l’acropole
10 : Objets en bronze provenant de la tombe voûtée du Bronze moyen
11 : Jarre d’époque akkadienne avec un décor de caprinés



fig. 13 : Pied de vas à décor fenestré retrouvé dans le palais
fig. 14 : Billes en terre cuite inscrites du Early Jezireh IIIb